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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/111

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ceux-ci sans qu’ils le sentent, à l’aide du chloroforme, en atteignant directement le siège de la vie ; et cela non par « miséricorde », comme le dit l’Ancien Testament, mais par obligation absolue envers l’essence éternelle qui vit dans les animaux comme en nous. On devrait, dis-je, chloroformer au préalable tous les animaux à tuer : ce serait une noble façon de faire qui honorerait les hommes. La haute science de l’Occident et la haute morale de l’Orient se donneraient ainsi la main, puisque le brahmanisme et le bouddhisme, loin de limiter leurs prescriptions au « prochain », prennent sous leur protection « tous les êtres vivants ».

C’est seulement quand cette vérité simple et hors de toute espèce de doute : « l’animal est dans son essence absolument ce que nous sommes », aura pénétré dans la masse, que les animaux ne seront plus des êtres privés de droits et livrés en conséquence à la mauvaise humeur et à la cruauté du premier mauvais drôle venu ; et chaque médicastre ne pourra plus satisfaire les caprices aventureux de son ignorance, en leur infligeant les plus odieuses tortures, comme c’est le cas aujourd’hui. Notons d’ailleurs que, de nos jours, on chloroforme en général les animaux, ce qui leur épargne la souffrance pendant l’opération et peut les tuer rapidement après celle-ci. Malheureusement, dans les recherches actuellement si fréquentes sur l’activité du système nerveux et sur sa sensibilité, ce moyen ne peut être employé, puisqu’il supprimerait ce qu’il s’agit précisément d’observer. Et le pire, c’est que l’on prend le plus souvent pour la vivisection l’animal qui l’emporte en noblesse morale sur tous les autres :