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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/137

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sur ce terrain aussi le mot de Gœthe a son application :

On sent l’intention, et cela indispose[1].

Le lecteur peut se rappeler à ce sujet les lignes de Condorcet que j’ai citées dans le Dialogue sur la religion.

La foi est comme l’amour : elle ne se commande pas. Aussi est-ce une entreprise hasardeuse que de prétendre l’introduire ou la fortifier par des mesures d’État. De même que la tentative de forcer l’amour engendre la haine, la tentative de forcer la foi engendre l’incrédulité. Ce n’est que tout à fait indirectement, en s’y prenant longtemps à l’avance, qu’on peut propager la foi il s’agit de lui préparer un bon terrain sur lequel elle prospère, et ce terrain est l’ignorance. On l’a cultivé avec soin en Angleterre depuis le vieux temps jusqu’à nos jours, de sorte que les deux tiers de la nation ne savent pas lire ; et cela explique qu’il y règne aujourd’hui encore une foi de charbonnier qu’on chercherait vainement ailleurs. Mais voilà que le gouvernement anglais commence à retirer au clergé l’enseignement populaire, ce qui amènera bientôt un déclin de la foi. En résumé, le christianisme, incessamment miné par la science, s’achemine peu à peu vers sa fin. Son seul espoir peut-être, c’est que seules périssent les religions qui n’ont pas de documents écrits. La religion des Grecs et des Romains, ces maîtres du monde, a disparu. La religion du petit peuple juif s’est au contraire maintenue ;

  1. « So fühlt man Absicht, und man wird verstimmt. »

    Torquato Tasso, acte II, scène 1.