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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/158

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sa fin sans que la chose en soi-même en soit affectée, c’est ce que chaque être humain sait par une intuition directe. De là vient qu’on s’est efforcé d’exprimer la chose en tout temps, et sous les formes et les expressions les plus diverses ; mais toutes ces formes et ces expressions, empruntées au phénomène dans son sens proprement dit, ne se rapportent qu’à lui. Chacun sent qu’il est quelque chose de différent d’un être qui a été un jour créé de rien par un autre être. Il conclut de là que la mort peut bien mettre fin à sa vie, mais non à son existence. Celui qui regarde son existence comme limitée à sa vie actuelle, se regarde comme un rien animé : trente ans auparavant il n’était rien, et dans trente ans il sera de nouveau rien. De ma prémisse : « le monde est ma représentation », s’ensuit cette conséquence : « je suis d’abord, ensuite le monde est ». C’est ce qu’on ne devrait pas oublier, pour ne pas confondre la mort avec l’anéantissement[1].

Plus un homme a la conscience claire de la fragilité, du néant et de la nature chimérique de toute chose, plus aussi il a la conscience claire de l’éternité de sa propre essence intime. Ce n’est en effet que par opposition à elle que l’on reconnaît la susdite nature des choses, comme on ne perçoit la course rapide d’un vaisseau qu’en le regardant de la terre ferme, et non en contemplant le vaisseau lui-même.

Le présent a deux moitiés : l’une objective, l’autre

  1. Croire que la vie est un roman auquel manque la suite, comme au Visionnaire de Schiller, d’autant plus qu’elle s’interrompt souvent au milieu du texte, à l’imitation du Voyage sentimental de Sterne, c’est, au point de vue esthétique comme au point de vue moral, une idée impossible à digérer.