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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/18

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affirme-t-il à diverses reprises, se refuse à admettre un culte théologique révélé, et qui lui substitue le culte de l’art, celui-là a de la religion. Quant à la morale, il va de soi qu’elle appartient à la même catégorie que celle-ci. Schopenhauer a beau répéter que « le philosophe doit être avant tout un incroyant », qu’ « aucun véritable philosophe n’est religieux », il n’en reste pas moins vrai que la passion qu’il porte dans l’étude de cette question indique qu’il la prenait tout à fait au sérieux ; la chaleur avec laquelle il ne manque jamais d’argumenter en cette matière le témoigne d’une façon irrécusable. Il est incroyant, mais non pas sceptique. Pour lui, l’existence de l’idée religieuse est conditionnée par le caractère même de la nature humaine.

Résumons rapidement son système religieux.

La religion a deux faces, une très aimable et une très sombre, celle de la vérité et celle du mensonge ; les prêtres sont un singulier mélange de professeurs de morale et d’imposteurs. Une religion peut contenir un grand fonds de vérité. Elle est appréciable en tant que métaphysique populaire, elle satisfait les besoins spirituels de tous ceux qui ne peuvent comprendre ou supporter la vérité nue, c’est-à-dire la philosophie ; elle est pour l’humanité prise en masse un succédané efficace de cette vérité, à jamais inaccessible pour elle. C’est « un étendard public du Droit et de la Vertu, qui doit toujours flotter largement au vent ». Sa signification réside dans le symbole, dans l’allégorie. Ce à quoi il lui faut avant tout viser, c’est à diriger l’activité pratique dans la même voie que la dirige la philosophie. Comme moyen d’éducation du peuple, elle a fait beaucoup à certaines époques passées. Il est donc préférable de laisser à celui-ci la religion comme un mal nécessaire, comme une « béquille » destinée à soutenir la faiblesse maladive de l’esprit humain. La foi religieuse est partout l’appui de la loi et de la constitution, plus que cela, la base même de l’édifice social. « Les princes se servent de Dieu comme d’un croquemitaine à l’aide duquel ils envoient coucher les grands enfants, quand tout autre moyen a échoué ; c’est la raison pour laquelle ils tiennent tant à Dieu ». Il est juste d’ailleurs de reconnaître que la religion