Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/19

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a beaucoup perdu de son efficacité comme moyen de gouvernement. Un certain degré d’ignorance est en effet la condition de toutes les religions, l’élément où seul elles peuvent vivre et prospérer. Dès que la science et la philosophie ont la parole, toute foi basée sur la révélation disparaît d’elle-même, comme les fantômes au premier chant du coq. Car si, au fond, la religion est vérité, elle est vérité sous l’accoutrement et les oripeaux du mensonge. Si les prêtres voulaient admettre le caractère allégorique de leur enseignement, ce mensonge ne serait pas si nuisible ; mais ils s’obstinent à présenter l’allégorie comme la vérité absolue, et c’est pourquoi la religion pèse sur les esprits de tout le poids d’un cauchemar. Le secret fondamental et la ruse professionnelle des serviteurs de Dieu ont consisté de tout temps, sur toute l’étendue de la terre, à reconnaître le besoin métaphysique des hommes et à prétendre posséder le moyen de le satisfaire, grâce à la révélation. Or, celle-ci est chose impossible, les idées qui naissent dans une tête humaine ne pouvant en aucun cas provenir d’un être en dehors de l’humanité[1]. Mais une fois leurs contes sur la révélation ancrés dans les cerveaux des hommes, les prêtres peuvent mener et gouverner ceux-ci à leur gré. Ils ont constamment empêché, au nom des idées religieuses, non seulement la vérité de se faire jour, mais ils se sont encore efforcés d’étouffer à jamais celle-ci, en faisant subir aux intelligences enfantines d’étranges manipulations. Et quels maux nombreux et de tout genre a produits cette mainmise de la conjuration cléricale sur la société laïque, c’est ce que notre philosophe expose à grands renforts d’exemples et avec une éloquence souvent poignante, qui semble un commentaire des admirables vers de Lucrèce.

En somme, l’idée générale de Schopenhauer sur le rôle des religions peut assez bien se résumer par cette phrase de M. Alfred Fouillée, dans un livre récent : « Vous demandez que l’on reconnaisse les grands côtés des religions :

  1. « Un grand enfant seul peut croire que des êtres qui n’étaient pas des hommes aient jamais donné à notre race des éclaircissements sur son existence et son but, aussi bien que sur ceux du monde. »