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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/20

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reconnaissez hautement, à votre tour, la valeur fondamentale de la philosophie ou de la science, dont les religions ont été de premiers essais, comme la sorcellerie fut un premier essai de la médecine, l’astrologie de l’astronomie, l’alchimie de la chimie. »

Schopenhauer attribue du reste aux religions des différences de valeur. Ces dernières proviennent non de ce que l’une prêche, par exemple, le monothéisme, l’autre le polythéisme ou le panthéisme, mais de ce qu’elles font du pessimisme, ou au contraire de l’optimisme, la norme de la vie. Toute religion qui envisage le monde comme radicalement mauvais, contient un élément indestructible de vérité, et parle d’autant plus à son esprit et à son cœur qu’elle pousse plus loin ce pessimisme. Aussi place-t-il au plus bas de l’échelle qui a la prétention de conduire au ciel, le judaïsme et l’islamisme, religions optimistes par excellence. Quant au christianisme, si notre philosophe est radicalement hostile à son côté puérilement et grossièrement théologique[1], il éprouve de grandes sympathies pour plusieurs de ses doctrines, et avant tout pour celle qui en est le fond et l’essence même : la doctrine de la renonciation, qui est suivant lui, au point de vue éthique le plus élevé, la vraie et unique sagesse de l’existence humaine. En vertu de sa conception mère, — son dogme du péché originel, autour duquel pivote tout l’ensemble du système, — le christianisme est une religion tout à fait pessimiste, fondée sur la nature même des choses. Les ascètes chrétiens sont des héros qui ont eu la compréhension la plus profonde du véritable sens de la vie humaine, et qui sont parvenus à percer en une certaine mesure les

  1. Dans un endroit de ses œuvres, Schopenhauer fait s’entretenir ainsi deux interlocuteurs, en l’an 33 de Jésus-Christ : « Eh bien ! savez-vous la nouvelle ? » — « Non. Que s’est-il passé ? » — « Le monde est sauvé. » — « Que dites-vous là ? » — « Oui, le bon Dieu a pris la forme humaine, et s’est laissé mettre à mort à Jérusalem. De ce fait, le monde est maintenant sauvé, et le diable joué. » — « Mais c’est tout à fait charmant ! » (Ce dernier mot est en français.) Le malin philosophe saisit toujours avec empressement l’occasion d’appliquer des chiquenaudes de ce genre sur les nez orthodoxes.