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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/205

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et il est de plus absolument ridicule, puisqu’aucun châtiment ne peut effrayer celui qui cherche la mort. Si l’on punit la tentative de suicide, c’est la maladresse qui l’a fait échouer que l’on punit.

Les anciens, eux aussi, étaient bien loin d’envisager la chose à ce point de vue. Pline l’Ancien dit dans son Histoire naturelle (livre XXVIII, chap. i) : « Nous ne regardons pas la vie comme tellement désirable, qu’il faille la conserver malgré tout. Quel que tu sois, tu mourras de la même façon, que tu aies vécu dépravé ou criminel. C’est pourquoi chacun doit posséder tout d’abord ces pensées parmi les remèdes de son âme : « De tous les biens que la nature a accordés à l’homme, nul ne l’emporte sur une mort prématurée ; et ce qu’il y a d’excellent en celle-ci, c’est que chacun peut se la procurer à soi-même. » Et ailleurs (livre II, chap. vii) : « Dieu lui-même ne peut pas tout. Il ne peut se donner la mort, quand même il le voudrait ; la mort, ce qu’il a fait de mieux pour l’homme, au milieu des douleurs si grandes de la vie. » À Marseille et dans l’île de Chios, la ciguë était même présentée publiquement par les officiers municipaux à celui qui pouvait alléguer des raisons suffisantes pour quitter la vie (Valère Maxime, livre II, chap. vi, §§ 7 et 8[1]). Et combien de héros et de sages de l’antiquité ont-ils terminé leur vie par une mort volontaire ! Aristote dit, il est vrai, que le suicide est un tort fait à l’État, mais non à sa propre personne (Éthique à Nicomaque, V, 15). Cependant Stobée,

  1. C’était la coutume, dans l’île de Chios, que les vieillards se donnassent volontairement la mort. (Voir Valère Maxime, livre II, chap. vi ; Héraclide de Pont, Fragmenta de rebus publicis, ix ; Élien, Histoires variées, III, 37 ; Strabon, livre X, chap. v, § 6.)