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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/71

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quelques fades chanteurs. Or, d’où était venu un tel changement de scène ? Des migrations et du christianisme.

Démophèle. — Tu fais bien de rappeler cela. La migration des peuples fut la source du mal, et le christianisme la digue contre laquelle elle se brisa. Le christianisme fut précisément la force qui dompta et apprivoisa les hordes brutales et sauvages vomies par le déluge de la migration. Le barbare doit d’abord s’agenouiller, apprendre le respect et l’obéissance ; ce n’est qu’ensuite qu’on peut le civiliser. C’est ce que firent en Irlande saint Patrick, en Allemagne Winfried le Saxon, qui devint un vrai Boniface. Ce fut la migration des peuples, ce dernier mouvement en avant des tribus asiatiques vers l’Europe, — suivi sans résultats par les bandes d’Attila, de Gengiskhan et de Timour, et, épilogue comique, par les tsiganes, — ce fut la migration des peuples qui emporta dans son courant l’humanité antique. Le christianisme, lui, était justement le principe qui opposait une digue à la barbarie ; comme plus tard, à travers tout le moyen âge, l’Église avec sa hiérarchie était indispensable pour tracer certaines limites à la brutalité et à la sauvagerie des puissants de la terre, princes et chevaliers ; c’est elle qui brisa ces puissantes banquises. Quoi qu’il en soit, le but du christianisme est moins de répandre de l’agrément sur cette vie, que de nous rendre dignes d’une meilleure. Il se détache de ce court espace de temps, de ce rêve fugitif, pour nous mener au salut éternel. Sa tendance est éthique au sens le plus élevé du mot, un sens inconnu jusque-là en Europe. C’est ce que je t’ai déjà fait remarquer, en comparant la morale