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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/73

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de ce que cette doctrine est trop noble, trop sublime pour l’humanité, qu’un but trop haut a été assigné à celle-ci. Certes, la morale païenne ou celle de Mahomet était plus accessible. Ce sont précisément les plus belles choses qui prêtent le plus aux abus et à la fraude : abusus optimi pessimus[1]. Aussi ces hautes doctrines ont-elles parfois servi de prétexte aux actes les plus abominables et à de véritables crimes. Quant à la ruine des institutions politiques aussi bien que des arts et des sciences de l’ancien monde, elle est imputable, comme je l’ai dit, à l’invasion de barbares étrangers. Que l’ignorance et la grossièreté prissent alors le dessus, cela était inévitable ; par suite, la violence et la fraude l’emportèrent, et chevaliers ainsi que prêtres devinrent un fléau pour l’humanité. Cela s’explique en partie par le fait que la nouvelle religion enseignait à chercher le salut éternel et non le bonheur temporel, qu’elle préférait la simplicité du cœur au savoir encombrant la tête, et était hostile à tous les plaisirs terrestres que font goûter les sciences et les arts. Mais lorsque sciences et arts se mettaient au service de la religion, on les encourageait, et ils parvenaient à un certain degré de perfection.

Philalèthe. — Dans une sphère très étroite. Les sciences étaient des gaillardes suspectes, et on les tenait en respect. La sainte ignorance, au contraire, cet élément si nécessaire aux doctrines de foi, était l’objet de soins sérieux.

Démophèle. — Et cependant tout le savoir acquis jusque-là par l’humanité, tout ce qui se trouvait consi-

  1. « L’abus des choses excellentes est le pire. »