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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/75

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que la religion seule l’en détournera fréquemment.

Démophèle. — Moi, je crois le contraire ; surtout si l’influence religieuse agit par le fait de l’habitude, de telle sorte qu’un homme recule avec horreur devant un acte épouvantable. Les premières impressions sont durables. Songe combien de gens, surtout de noble naissance, tiennent souvent au prix de durs sacrifices la parole qu’ils ont donnée. Ce qui les y pousse uniquement, c’est que, dans leur enfance, leur père leur a souvent répété, d’un air sérieux : « Un homme d’honneur, un gentleman, un chevalier, tient toujours et inviolablement sa promesse. »

Philalèthe. — Cela ne va pas non plus sans une certaine probité innée. Mais il ne faut pas mettre sur le compte de la religion ce qui est le résultat de la bonté naturelle du caractère, en vertu de laquelle la compassion pour la personne qui serait victime d’un crime empêche un autre de le commettre. Ceci est le motif vraiment moral, par conséquent indépendant de toutes les religions.

Démophèle. — Même ce motif agit rarement sur la masse, s’il ne revêt pas une forme religieuse qui en tout cas le fortifie. Mais, à défaut de ce fondement naturel, les motifs religieux suffisent souvent à eux seuls à empêcher les crimes. Cela ne doit pas nous étonner de la part du peuple, quand nous voyons des gens de haute culture subir parfois l’influence, non de motifs religieux qui reposent du moins sur un fonds de vérité allégorique, mais de la plus absurde superstition, qui guide tout le cours de leur vie. Ils en arrivent, par exemple, à ne rien entreprendre le vendredi, à ne pas s’asseoir au nombre de treize à table, à croire aux pré-