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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/77

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la vérité et la justice, au su et vu de tous les témoins de l’acte. Le serment est le pont aux ânes métaphysique des juristes, et ils devraient y recourir aussi rarement que possible. Quand il est inévitable, il faudrait le prêter avec la plus grande solennité, toujours en présence d’un prêtre, même dans une église ou dans une chapelle attenant au tribunal. Dans certains cas très suspects il serait même bon d’y faire assister la jeunesse des écoles. Voilà pourquoi la formule abstraite du serment en France n’a aucune valeur ; l’abstraction d’un fait positif donné devrait être laissée à la manière de penser de chacun, conformément à son degré de culture. Tu as néanmoins raison d’alléguer le serment comme un exemple indéniable de l’efficacité pratique de la religion. Mais que cette efficacité aille beaucoup plus loin, c’est ce dont je doute, en dépit de tous tes arguments. Imagine-toi que, tout à coup, une proclamation publique abolisse toutes les lois criminelles : je ne crois pas que, en ce cas, ni toi ni moi nous aurions le courage de nous rendre seulement d’ici chez nous, sous la seule protection de la religion. Si, par contre, d’une façon analogue, toute religion était déclarée fausse, nous vivrions encore sous la protection des lois, absolument comme auparavant, sans augmentation notable de soucis ni de mesures de précaution. Mais je te dirai plus : les religions ont très souvent une influence nettement démoralisatrice. On peut affirmer d’une façon générale que les devoirs envers Dieu vont à l’opposé des devoirs envers les hommes ; il est en effet très commode de remplacer le manque de bienveillance envers ceux-ci par l’adulation envers celui-là. Aussi voyons-nous, en tout temps et en tout pays, que la majorité des