Aller au contenu

Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

religion n’a jamais été acceptée avec le même sérieux que, dans les temps modernes, le christianisme, ou, en Asie, le bouddhisme, le brahmanisme et le mahométisme ; par conséquent, le polythéisme des anciens a été quelque chose de tout autre que le simple pluriel du monothéisme ; c’est ce dont témoignent suffisamment Les Grenouilles d’Aristophane, où Dionysos est présenté comme un niais et un poltron des plus pitoyables, et est livré aux railleries. Or, on les jouait publiquement à sa fête, les Dionysiaques. En second lieu, le christianisme dut refouler le judaïsme, dont le dogme grossier fut sublimé et silencieusement allégorisé par le dogme chrétien. Le christianisme est d’ailleurs purement de nature allégorique : ce qu’en matière profane on nomme allégorie, se nomme mystère dans la religion. On doit accorder que le christianisme est de beaucoup supérieur aux deux religions précédentes non seulement en morale, où les préceptes de charité, de mansuétude, de pardon, de résignation et de renoncement à soi-même lui sont exclusivement propres, en Occident, inutile de l’ajouter, mais même en matière de dogme. Or, qu’y a-t-il de mieux pour la masse, incapable de saisir la vérité directement, qu’une belle allégorie suffisant amplement comme guide de la vie pratique et comme source de consolation et d’espoir ? Une légère dose d’absurdité est toutefois un ingrédient nécessaire, en ce qu’elle a pour effet de marquer la nature allégorique de la religion. Si l’on conçoit le dogme chrétien sensu proprio, alors Voltaire a raison. Si, au contraire, on l’interprète allégoriquement, c’est un mythe sacré, un véhicule transmettant au peuple des vérités qui, autrement, lui seraient inac-