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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/92

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cessibles. On pourrait le comparer aux arabesques de Raphaël, et aussi à celles de Runge[1], qui représentent des choses absolument hors nature et des impossibilités, d’où s’exhale pourtant un sens profond. Si l’Église affirme que, en matière de dogmes religieux, la raison est absolument incompétente, aveugle et condamnable, cela signifie au fond que ces dogmes sont de nature allégorique et ne doivent pas, en conséquence, être jugés d’après la mesure que la raison, prenant tout sensu proprio, peut seule appliquer. Les absurdités d’un dogme sont précisément la marque et le signe de ce qu’il renferme d’allégorique et de mythique. Dans le cas actuel, toutefois, ces absurdités résultent de ce qu’on a voulu unir deux doctrines aussi hétérogènes que celles de l’Ancien et du Nouveau Testament. Cette grande allégorie ne s’est développée que graduellement, par suite de circonstances extérieures et fortuites, et de l’interprétation donnée à celles-ci, sous la forme innocente de vérités profondes imparfaitement comprises. Elle fut définitivement achevée par Augustin, qui pénétra le plus intimement son sens, et put ainsi la concevoir comme un tout systématique et combler ses lacunes. C’est donc la doctrine d’Augustin, fortifiée par Luther, qui est la forme complète du christianisme ; ce n’est pas le christianisme primitif, comme

  1. Philippe Otto Runge, né à Hambourg en 1777, mort en 1810. Rompant avec le classicisme banal du xviiie siècle, il s’inspira de la nature, mais en enveloppant ses conceptions dans un symbolisme souvent obscur qui lui valut de son temps le nom railleur de « peintre d’hiéroglyphes ». Il fut le premier maître d’Overbeck. Richard Muther, dans son Histoire de la peinture (t. II, pp. 1 et suiv.), lui assigne un rang très haut comme précurseur de l’art moderne. (Le trad.)