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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/93

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le pensent les protestants d’aujourd’hui, qui, prenant la « révélation » sensu proprio, la bornent à un seul individu. Ce n’est pas le germe qui est délectable, mais le fruit. Le côté fâcheux de toutes les religions, c’est qu’elles ne peuvent être allégoriques que secrètement, et jamais ouvertement ; en conséquence, elles doivent étaler leurs doctrines comme vraies sensu proprio ; et comme elles sont inséparables d’un fond essentiel d’absurdités, cela constitue une fraude perpétuelle et un grand mal. Puis, ce qui est pire, on a un beau jour la preuve qu’elles ne sont pas vraies sensu proprio ; et ce jour-là c’en est fait d’elles. Il serait donc préférable d’avouer sans hésiter leur nature allégorique. Seulement, comment enseigner au peuple que quelque chose est à la fois vrai et non vrai ? Comme toutes les religions sont plus ou moins de cette nature, nous devons reconnaître que l’absurdité est conforme jusqu’à un certain point au caractère humain, qu’elle est un élément vital, et que l’homme a besoin d’être trompé. D’autres faits le témoignent.

La combinaison de l’Ancien et du Nouveau Testament, ai-je dit plus haut, est une source d’absurdités. Nous en avons un exemple dans la doctrine chrétienne de la prédestination et de la grâce, formulée par Augustin et suivie aveuglément par Luther. D’après cette doctrine, un homme possède la grâce, tandis qu’un autre homme ne la possède pas. Celle-ci devient alors un privilège reçu à la naissance et apporté complet au monde, et cela dans l’affaire la plus importante de toutes. L’inconvenance et l’absurdité de cette doctrine proviennent uniquement de la supposition de l’Ancien Testament,