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Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/94

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que l’homme est l’œuvre d’une volonté étrangère qui l’a appelé du néant à l’existence. Il est très vrai que les véritables qualités morales sont réellement innées ; mais la chose revêt déjà une signification tout autre et plus raisonnable dans la doctrine de la métempsycose, commune aux brahmanes et aux bouddhistes. Suivant cette doctrine, ce qu’un homme apporte à sa naissance et possède de supérieur à son semblable provient d’un autre monde et d’une vie antérieure ; ce n’est pas un don étranger de la grâce, mais le fruit des actes accomplis dans cet autre monde. Le dogme d’Augustin, lui, est complété par celui-ci : dans la masse humaine corrompue et condamnée par conséquent à l’éternelle damnation, un extrême petit nombre d’individus sera trouvé juste et sera sauvé en vertu du don de grâce et de prédestination ; le reste sera atteint par le châtiment mérité, c’est-à-dire condamné aux tortures éternelles de l’enfer[1]. Pris sensu proprio, le dogme est ici révoltant. Non seulement il fait expier par ses tortures sans fin les erreurs ou même l’incrédulité d’une existence qui parfois n’a pas même atteint vingt ans ; mais il va jusqu’à faire de cette damnation presque universelle l’effet naturel du péché originel, c’est-à-dire la conséquence de la première chute. Or, il aurait dû en tout cas la prévoir, celui qui ne créa pas au début les hommes meilleurs qu’ils sont, puis ensuite leur tendit un piège dans lequel il savait qu’ils tomberaient, puisque toute chose est son œuvre et que rien ne lui reste caché. Il en résulte qu’il appela du néant à l’existence une race soumise au péché, pour la livrer ensuite à des tour-

  1. Voir Wigger, Augustinismus und Pelagianismus, p. 335.