Aller au contenu

Page:Schopenhauer - Sur la religion, 1906.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ments éternels. Ajoutons que le Dieu qui prescrit la clémence et le pardon des fautes, même envers les ennemis, loin de les pratiquer lui-même, fait plutôt l’opposé : car un châtiment qui vient à la fin des choses, quand le monde a cessé à jamais d’exister, ne peut avoir en vue ni de corriger ni d’effrayer, et n’est qu’une pure vengeance. Ainsi, la race humaine tout entière paraît expressément condamnée par essence à la damnation et aux tortures éternelles, sauf les rares exceptions qui sont sauvées par le don de la grâce, on ignore pourquoi.

En laissant ces exceptions de côté, il semble que le bon Dieu ait créé le monde au profit du diable ; il aurait mieux fait de s’abstenir. C’est ainsi qu’il en va des dogmes pris sensu proprio ; conçus sensu allegorico, au contraire, ils sont encore susceptibles d’une explication satisfaisante. Mais le caractère absurde, révoltant même de cette doctrine, n’est que la conséquence du théisme juif, avec sa création sortie du néant et sa négation réellement paradoxale et inepte de la doctrine de la métempsycose, doctrine naturelle, en quelque sorte évidente par elle-même, et conséquemment admise de tout temps par l’humanité à peu près entière, excepté par les Juifs. Pour obvier au mal énorme résultant de cet état de choses, et pour adoucir le côté révoltant du dogme, le pape Grégoire Ier, au vie siècle, introduisit très sagement la doctrine du purgatoire, qui se trouve déjà en principe chez Origène (Dictionnaire de Bayle, au mot Origène, note B), et en fit un article de foi. Cette disposition modifia beaucoup les choses et tint lieu jusqu’à un certain point de la métempsycose ; les deux doctrines subirent ainsi une