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C’est à des éditions successives sans date (règle de colportage) qu’il faut attribuer les écarts que nous avons signalés.

L’influence de cet opuscule a été si grande que tous les vocabulaires d’argot en dérivent. Nous ne savons où M. Vitu a vu que « le dictionnaire donné par Granval en 1725 à la suite de son poème de Cartouche s’éloigne notablement de l’argot d’Ollivier Chereau ». Nous avons sous les yeux l’édition de 1725 et celle de 1740. La légende qui attribuait à Cartouche lui-même ce vocabulaire, soi-disant dicté dans sa prison, doit désormais disparaître[1] Il est emprunté à une édition du Jargon : il ne contient, en dehors des mots du Jargon, que deux ou trois termes qui font partie de l’histoire de Cartouche, comme dardant (l’amour).

Icicaille est le théâtre
Du petit Dardant.

On trouve dans le vocabulaire de Granval la fausse distinction établie entre paquelin (enfer) et pasquelin (pays). C’est la preuve de l’emprunt fait à une édition du Jargon. Un éditeur, collationnant son vocabulaire sur le texte, a trouvé parmi les phrases argotiques : « Le glier t’entrolle en son pacquelin, c’est le diable t’emporte en enfer. » La traduction littérale est « dans son pays ». L’éditeur a suppléé d’abord son (édit. Jacques Oudot) et a traduit « t’emporte en son enfer ». Puis il a donné dans le vocabulaire paquelin (enfer) et pasquelin (pays). Les erreurs de ce genre trahissent les emprunts. Vidocq en imprimant bilou a reproduit la faute d’impression d’une édition du Jargon. Dans l’édition de Jacques Oudot on lit bijou : le sens est celui des Bijoux indiscrets de Diderot[2]. La confusion s’explique par biiou (cf. plus loin ses lis et ses iis). On trouve aussi dans les Voleurs « ficher : bâiller  ». Le Jargon contient effectivement « ficher : bâiller », mais avec le sens de donner. L’auteur des Voleurs de Vidocq trahit, là encore, la source à laquelle il puise et dont il a d’ailleurs fort honnêtement donné le titre.

De ces quelques observations résulte l’intérêt considérable qu’il y aurait à faire une histoire du Jargon de l’argot réformé. Revenons maintenant aux exemples du langage artificiel recueillis dans cet opuscule.

Un des points importants dans l’étude du loucherbème, c’est la

  1. Cartouche ne fut visité dans sa prison que par les comédiens Le Grand et de Moligny ; ce qui causa une information contre le Lieutenant Criminel. La seule mention d’argot que contiennent les dépositions relatives à cette affaire est dans celle de Moligny. Le Grand et Moligny « virent Cartouche estendu sur un matelas, attaché aux pieds, aux mains et au milieu du corps ; Le Grand luy dit quelques mots d’argot et redescendirent ». (Arch. nat., Parlement. Criminel. X2b, 1352.).
  2. L’argot contemporain emploie encore †bijou.