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Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/125

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par où entra une jeune femme comme je n’en avais jamais vu. Elle avait la figure frottée de safran et les yeux attirés vers les tempes ; ses cils étaient gommés d’or et les conques de ses oreilles délicatement relevées d’une ligne rose. Ses dents, d’un noir d’ébène, étaient constellées de petits diamants fulgurants et ses lèvres étaient complètement bleuies. Ainsi parée, avec sa peau épicée et peinte, elle avait l’aspect et l’odeur des statues d’ivoire de Chine, curieusement ajourées et rehaussées de couleurs bariolées. Elle était nue jusqu’à la ceinture ; ses seins pendaient comme deux poires et une étoffe brune guillochée d’or flottait sur ses pieds.

Le désir d’étrangeté qui me tenait devint alors si violent que je me précipitai vers cette femme peinte en l’implorant : chacune des couleurs de son costume et de sa peau semblait à l’hyperesthésie de mes sens un son délicieux dans l’harmonie qui m’enveloppait ; chacun de ses gestes et les poses de ses mains étaient comme des parties rythmées d’une danse infiniment variée dont mon intuition saisissait l’ensemble.

Et je lui disais, en la suppliant : « Fille de Lebanon, si tu es venue à moi des profondeurs mystérieuses de l’Opium, reste, reste… mon cœur te veut. Jusqu’à la fin de mes jours je me nourrirai de l’impréciable drogue qui te fait paraître à mes yeux. L’opium est plus puissant que l’ambroisie, puisqu’il donne l’immortalité du rêve, non plus la misérable