Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’aurais pas la force de résister. Je le lui criai. Il me répondit sans bouger : « Cela va être fini tout de suite, monsieur. » Cette mécanique me battait la mâchoire avec la régularité d’un marteau-pilon en faisant trembler tous les os de ma tête. Mon crâne cédait, mes dents éclataient. — Quand il eut fini, il retira ses doigts de ma bouche et dit : « Crachez, monsieur, voici la cuvette. »

Je rejetai, parmi des brins d’ouate et de la salive empestée par sa préparation, quelques fragments d’une substance blanche.

Il me dit : « Voulez-vous me permettre de regarder, monsieur ? » Il m’inspecta avec son miroir et déclara avec un sourire démoniaque : « La carie était trop profonde, monsieur ; l’émail n’a pu résister, il s’est fendu. »

Je courus à la glace, le désespoir au cœur. Mes deux dents de devant avaient éclaté. Je lui dis : « Je vous avais prévenu. C’est la faute de votre maillet automatique. Je savais que cela arriverait. Pourquoi — oh ! — pourquoi ne m’avez-vous pas laissé ma gingembre… alcali volatil ? Mes dents seraient tombées entières ; j’aurais pu les conserver et me consoler en les regardant, me repaître de leur vue, pleurer sur la boîte où je les aurais ensevelies ; tandis que vous les avez brisées en fragments innommables. Qu’est-ce que je vais faire ? »

Cet être hirsute me répondit : « Ce n’est rien, monsieur. Un petit coup de lime, et il n’y paraîtra plus.