Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/16

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L’amour a sa place entre la terreur et la pitié. Sa représentation est le plus délicat passage d’une de ces passions à l’autre ; et elle les soulève toutes deux dans le spectateur, dont l’âme prend ainsi plus d’intérêt que celle du personnage qui joue.

L’analyse des passions dans la description des héros ou dans le rôle des acteurs est déjà une pénétration de l’art par la critique. L’examen que la personne représentée fait d’elle-même provoque un examen imité chez le spectateur. Il perd la sincérité de ses impressions ; il ratiocine, discute, compare ; les femmes cherchent parfois dans ces développements des moyens matériels pour tromper, et les hommes des moyens moraux pour découvrir ; la déclamation rhétorique est vide ; la déclamation psychologique est pernicieuse.

Les passions représentées non plus pour l’acteur, mais pour le spectateur, ont une haute portée morale. En entendant les Sept contre Thèbes, dit Aristophane, on était plein d’Arès. La fureur guerrière et la terreur des armes ébranlaient tous les assistants. Puis les deux frères se tuant, les deux sœurs les enterrant, malgré des ordres cruels et une mort imminente, la pitié chassait la terreur ; le cœur se calmait, l’âme reprenait de l’harmonie.

À de semblables effets une composition spéciale est nécessaire. Le drame implexe diffère systématiquement du drame complexe. La situation dramatique tout entière est dans l’exposition d’un état tragique, qui contient en puissance le dénouement. Cet état est exposé symétriquement, avec une mise en place rigoureuse et définie du sujet et de la forme. D’un côté ceci ; de l’autre cela.

Il suffit de lire Eschyle avec quelque attention pour percevoir cette permanente symétrie qui est le principe de son art. La fin des pièces est pour lui une rupture de l’équilibre dramatique. La tragédie est une crise, et sa solution une accalmie. En même temps, à Égine, un peu