Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/161

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— Grand danger ! dit l’homme gras. Bah, quelles inventions ! Buvons et mangeons. Et quel danger donc ?

— Oh, reprit l’homme maigre, la plupart du temps toutes les réserves nutritives s’éliminent avec le trop-plein de la glycose ; on ne peut plus se refaire de tissu ; la plaie ne se cicatrise pas et on a la gangrène. Cela décompose la main (l’homme gras laissa tomber sa fourchette), puis le bras se pourrit (l’homme gras resta sans manger), et ensuite le reste y passe (on vit sur la figure de l’homme gras l’expression d’un sentiment qui n’y avait jamais paru, et qui était l’effroi). Hélas ! reprit l’homme maigre, qu’il y a de maux dans la vie ! »

L’homme gras réfléchit un moment, la tête basse ; puis il dit tristement : « Vous êtes médecin, monsieur ?

— Oui, pour votre service, docteur en médecine, oui ; je demeure place Saint-Sulpice et j’étais venu…

— Monsieur, interrompit l’homme gras d’un ton suppliant, vous pouvez m’empêcher d’avoir le diabète ?

— Nous pouvons essayer, cher monsieur, dit l’homme maigre, pourvu que Dieu nous aide. »

La figure de l’homme gras s’enfla de nouveau, sa bouche s’épanouit : « Touchez-là, dit-il, et soyez mon ami. Vous demeurerez avec moi : nous ferons ce qu’il faudra et vous ne vous plaindrez de rien.

— Soit, dit l’homme maigre, et je réglerai votre vie.

— Entendu, repartit l’homme gras. Allons manger