Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/270

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lits nouvellement faits, doux et tendus, pour prendre les bols de grosse faïence blanche. En passant, la sœur glissait sur les tables de nuit un grapillon de raisin ou une pêche ; la salle entière s’épanouissait dans le repas du soir. La sœur demanda au « bloum » : « En veux-tu, ours ? » — Le vieux « bloum » grogna : « Sais pas. »

La nuit passa, et la journée suivante ; le « vieux » restait toujours stupide, étendu sur le dos. Et la nuit tomba de nouveau. Dans la salle, une veilleuse brûlait au milieu d’un dôme de porcelaine ; une lueur laiteuse flottait jusqu’au plafond. On entendait ronfler et souffler ; du fond, où s’ouvrait la salle des typhiques, retentissaient des gémissements sourds et des plaintes basses. Tout à coup un bruit s’éleva et augmenta graduellement ; d’abord comme le grincement d’une roue mal graissée, puis comme le ronflement d’une forte toupie, enfin comme le glouglou d’une bouteille versée. Et ce bruit devint persistant et continuel, jaillissant de la poitrine et de la gorge du « bloum, » sans intervalle aucun. On aurait dit d’un homme rempli d’eau, pendu la tête en bas, et qui se viderait avec un gargouillement sans fin.

Les malades, réveillés, s’accoudaient sur leur traversin ; les draps soulevés marquaient les lits de bosses blanches. Beaucoup crièrent : « Assez ! » Un aphasique, couché au fond, répétait opiniâtrement, d’une voix aiguë : « Qu’il est… qu’il est… qu’il est… killé killé killé... » Et, à côté de lui, une loque