Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/276

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de la musette, il lui suffisait de cligner de l’œil. Les petites « Parigotes » qui sautaient là, si ravies, ne résistaient pas au beau danseur, à moustaches fines, dont les mains goulues leur étreignaient la taille, dont les yeux pervers anéantissaient leurs regards. Il leur « faisait le ser » d’un mouvement imperceptible, et elles quittaient aussitôt la salle carrée, après un tour indifférent auprès d’amis attablés devant un saladier de vin à la française. Et le couple s’en allait par les rues sombres, la figure de la petite renversée vers la tête du crève-cœur.

Mais celle-ci n’avait rien senti. Elle se moquait de lui, froide, nerveuse. Il semblait ne l’intéresser que par une vicieuse curiosité de ce grand corps. Laide, malingre, les épaules pointues, les seins battants, elle le poignait du vide de ses yeux pâles. La sclérotique avait le bleuâtre de l’émail, avec des fleurs rouges qui couraient dessus. La prunelle était claire et grise, indécise comme la brume du jour qui tombe, froide comme un ciel d’hiver. Et la fixité d’un regard qu’il ne pouvait comprendre le harcelait au point de lui faire tout oublier.

Il la suivait partout, et la menaçait quand elle était seule. Il trouvait un plaisir âcre à lui empoigner le bras dans la rue et à la forcer d’entrer dans un assommoir, pour lamper une verte. Car elle refusait d’abord, avec un rire aigre : il lui promettait « deux broquots, » un sur chaque œil — là dans la rue — va comme je te pousse — et la petite, domptée, entrait