Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/277

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boire. Alors, énervée, elle le raillait impitoyablement ; chacune de ses rudes plaisanteries était tranchante comme un de ces coups de couteau par lesquels des passionnés enlèvent des rondelles de peau sur les bras, les jambes, le ventre. À ses yeux qui se mouillaient de bonheur et de lassitude, on devinait sa volupté, pareille dans ces moments à celle qui la faisait pâmer, lorsqu’elle piquait, coupait, mordait ou brûlait.

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Ainsi les deux couraient silencieusement, entre deux haies de becs de gaz, le long des quais obscurs, par les ponts piqués de lumières, au-dessus de la Seine où tremblotaient des lames de sabre d’or rouge et jaune, jusqu’à la barrière du Trône, où on entendait une musique nasillarde, coupée d’appels de tambour. De chaque côté, les baraques ouvraient dans l’ombre des trous éblouissants, pleins d’un papillottement de verres bleus, roses et verts — avec des crécelles criardes, des roues de loterie cliquetantes, de stridents appels de paillasse en parade ; et la tête de Turc qui rebondissait, avec un choc sourd, et le crépitement ininterrompu du tir, et par-dessus tout le bruit filtrant de la foule, semblable au clapotement de la vase quand on y arrache des pierres.

La pâle « môme » s’arrêta devant une baraque de lutteurs. Trois aboyeurs hurlaient à la porte devant les toiles peintes où on voyait des hommes aux