Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/278

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muscles gonflés jongler avec des poids et soulever avec les dents des tonneaux chargés d’une pyramide humaine. La femme, au comptoir, crevait de graisse, avec des plis pesants du cou qui descendaient sur sa cotte d’écailles luisantes.

À l’intérieur, dans une arène semée de sciure, deux hommes luttaient. De taille à peu près égale, petits tous deux, ils différaient par la grosseur, car l’un était sec, avec des muscles sinueux qui couraient en bosses le long de ses bras et de ses jambes ; les omoplates dessinaient des saillies ; l’autre avait un cou puissant, les cheveux gras et collés, des cuisses pareilles aux cylindres d’une machine ; deux mamelons tendaient son maillot sur la poitrine, et il avait des bracelets de fourrure aux poignets et aux chevilles. La partie fut courte : le gros lutteur essaya le « coup de l’écrasement, » qui réussit aussitôt. Arc-bouté sur les jambes, il se laissait retomber de tout son poids, — et, quoique l’autre fit le gros dos, ses muscles lassés se détendirent, et les deux épaules touchèrent. Parmi les bravos et les battements de mains, le patron s’avança au milieu de la lice ; sa jaquette le gênait et le col le blessait ; en tournant son chapeau dans les deux mains, il annonça de sa voix enrouée de vieux lutteur :

« Ze propose oune prix dé mille francs à qui louttera vittorieusement avec moussieu Paul. Z’ai confiance que le public appréciera mon offre, et qu’il se trouvéra oune amateur. »