Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/279

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Après un coup d’œil circulaire, il continua :

« Réfléchissez. Mille francs est oune somme. Ze la dépose à la caisse. »

Le crève-cœur était entré. Il ne regardait que la marmiteuse aux yeux pâles, restée stupéfaite devant le colosse Paul. Quand elle le vit du coin de l’œil, elle lui siffla en ricanant :

« Eh ben ! crève-cœur, ici n’y a pas d’amour ? »

Sur l’instant il sauta dans l’arène et jeta sa veste et son foulard. Sous le tricot rayé apparurent ses épaules blanches, et des bras nerveux où un vieux avait tatoué : Brin d’Amour. Les mains s’élargissaient au bout des poignets minces, comme des feuilles pendantes.

Mais le crève-cœur n’était pas de force.

Le gros lutteur lui massa ses bras, qui coulèrent comme des câbles détordus ; d’un tour de reins, il le fit sauter en l’air ; il lui écarta les jambes, le retourna comme une grenouille, et, accroupi derrière lui, il tâchait de le mettre sur le flanc. La figure tordue du crève-cœur se ridait par plis circulaires, jusqu’aux oreilles ; une veine lui zébrait le front taché de rouge, et ses bras impuissants martelaient le sol.

Glissant alors la main droite vers la poche de son pantalon, il voulut y fouiller. Les yeux de la marmiteuse pâle roulèrent dans leurs orbites, ses épaules tressaillirent, son corps fut secoué, un flot de sang lui voila la figure ; et, pâle l’instant d’après, lasse et