Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/60

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que tout craque autour de moi, — et d’un jet le sang me monte à la tête ; puis je pense que je suis dans mon lit, et je me renfonce entre mes draps.

Cette nuit-là, nous étions abattus par la chaleur humide. Il pleuvotait à gouttes tièdes ; le copain Graslepoix enfournait son charbon par pelletées régulières ; la locomotive ballait et tanguait dans les courbes fortes. Nous marchions 65 à l’heure, bonne vitesse. Il faisait noir comme dans un four. Passé la gare de Nuits, et roulant sur Dijon, il était une heure du matin. Je pensais à nos deux vieux qui devaient dormir tranquillement, quand tout à coup j’entends souffler une machine sur la double voie. Nous n’attendions entre Nuits et Dijon, à une heure, ni train montant, ni train descendant.

« Qu’est-ce que c’est que ça, Graslepoix ? dis-je au chauffeur. Nous ne pouvons pas renverser la vapeur.

— Pas de pétard, dit Graslepoix : c’est sur la double voie. On peut baisser la pression. »

Si nous avions eu, comme aujourd’hui, un frein à air comprimé… lorsque soudain, avec un élan subit, le train de la double voie rattrapa le nôtre et roula de front avec lui. Les cheveux m’en dressent quand j’y pense.

Il était tout enveloppé d’un brouillard rougeâtre. Les cuivres de la machine brillaient. La vapeur fusait sans bruit sur le timbre. Deux hommes noirs dans la brume s’agitaient sur la plate-forme. Ils nous faisaient face et répondaient à nos gestes. Nous