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Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/69

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au pont jeté dans la vallée qui coupait le plateau des derniers contreforts de la montagne ; point stratégique tout indiqué, qu’on n’avait pu négliger.

Par les taillis de noisetiers et de coudriers, on entendait murmurer la rivière dans le creux ; le bas chemin, avec ses deux ornières profondes, était tapissé de brume. Et les deux Bretons, marchant sur un lit de feuilles mortes, se hâtaient, parce qu’ils sentaient venir la fin de la nuit.

Palaric dit à Gaonac’h à mi-voix :

« Tu connais ma mère, Gaonac’h, qu’elle est meunière en Rosporden ? Je ne l’ai pas revue depuis que je suis parti au service, ni les deux petits. Tu es grand, toi, tu es fort… »

Et Gaonac’h répondit en lui posant la main sur l’épaule :

« On est bientôt arrivé. Quand tu ne pourras plus marcher, si on nous court après, je te porterai bien un peu de chemin.

— Non, mais, reprit Palaric, ce n’est pas de mourir que j’ai peur ; seulement la cahute, en Rosporden, elle serait seule ; et puis, le vent, il est triste, tu sais, sur la lande : pour la mère, comment qu’elle ferait ? Et c’est loin, ici donc ; mais on n’y peut rien. Je voudrais seulement que tu restes avec moi, parce que, toi aussi, tu es de Rosporden. Deux pays, ça va loin, et puis nous nous aimons bien.

— Halte, dit Gaonac’h, nous voilà sur la pointe. »

Quelques pas de plus, et la lisière du bois se crevait