Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/71

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eux, pour gagner le fort : s’ils avançaient, pensait-il, tournant les pentes, il arriverait plus vite ; pourvu que Gaonac’h prévienne à temps.

Brusquement, sur un ordre invisible, les soldats se formèrent par le flanc et descendirent le long de la côte. Palaric se retourna pour s’élancer, quand une douleur aiguë lui traversa le ventre et il s’abattit sur le dos, les poings crispés, les bras demi-tendus. Un mercanti qui suivait, voyant luire le bouchon d’un bidon, avait piqué une baïonnette abandonnée dans le taillis. Il vida les poches de Palaric et repartit en trottinant. Le sang bouffait avec des grosses bulles, — et la face du petit Breton, terreuse, avait les yeux retournés. Le soleil, dépassant les pentes, montra des pelotons isolés, qui marchaient en avant.

Mais des coups sourds retentirent, venant du fort, et des obus crevèrent sur le plateau. On entendit ronfler les grosses pièces de bronze. Les Hotchkiss et les Nordenfelt battirent les fossés d’un roulement ininterrompu. Les yeux mourants du petit soldat voyaient encore les lignes géométriques du fort, noires sur le ciel, avec la coupole cuirassée tournante d’où jaillissaient deux jets de fumée. Alors une douceur s’étendit en lui, tandis qu’il pensait à Gaonac’h, et son cœur se réjouit pour Rosporden.