Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/72

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Les Sans-Gueule


On les ramassa tous deux, l’un à côté de l’autre, sur l’herbe brûlée. Leurs vêtements avaient volé en lambeaux. La conflagration de la poudre avait éteint la couleur des numéros ; les plaques de maillechort étaient émiettées. On aurait dit de deux morceaux de pâte humaine. Car le même fragment tranchant de tôle d’acier, sifflant en oblique, leur avait emporté la figure, en sorte qu’ils gisaient sur les touffes de gazon, comme un double tronçon à tête rouge. L’aide-major qui les empila dans la voiture les prit par curiosité surtout : le coup, en effet, était singulier. Il ne leur restait ni nez, ni pommettes, ni lèvres ; les yeux avaient jailli hors des orbites fracassées, la bouche s’ouvrait en entonnoir, trou sanglant avec la langue coupée qui vibrait en frissonnant.