Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/78

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mon petit loup, ton frère est vilain, il est mauvais comme un singe — je lui ai tourné sa figure contre le mur ; je ne le retournerai que s’il me demande pardon. » Après, avec un petit rire, elle retournait le pauvre corps, doucement soumis à la pénitence, et lui embrassait les mains. Elle leur baisait aussi parfois leurs affreuses coutures, et s’essuyait la bouche toute de suite après, en fronçant les lèvres, en cachette. Et elle riait aussitôt, à perte de vue.

Mais insensiblement elle s’accoutuma plus à l’un d’eux, parce qu’il était plus doux. Ce fut inconscient, certes, car elle avait perdu tout espoir de reconnaissance. Elle le préféra comme une bête favorite, qu’on a plus de plaisir à caresser. Elle le dorlota davantage et le baisa plus tendrement. Et l’autre Sans-Gueule devint triste, aussi, par degrés, sentant autour de lui moins de présence féminine. Il resta plié sur lui-même, souvent accroupi sur son lit, la tête nichée dans le bras, pareil à un oiseau malade. Il refusa de fumer ; tandis que l’autre, ignorant de sa douleur, respirait toujours du brouillard gris qu’il exhalait avec des cris aigus par toutes les fentes de son masque pourpre.

Alors la petite femme soigna son mari triste, mais sans trop comprendre. Il hochait la tête dans son sein en sanglotant de poitrine ; une sorte de grognement rauque lui parcourait le torse. Ce fut une lutte de jalousie dans un cœur obscurci d’ombre ; une jalousie