Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/79

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animale, née de sensations avec des souvenirs confus peut-être d’une vie d’autrefois. Elle lui chanta des berceuses comme à un enfant, et le calma de ses mains fraîches posées sur sa tête brûlante. Quand elle le vit très malade, de grosses larmes tombèrent de ses yeux rieurs sur le pauvre visage muet.

Mais bientôt elle fut dans une angoisse poignante ; car elle eut la sensation vague de gestes déjà vus dans une ancienne maladie. Elle crut reconnaître des mouvements autrefois familiers ; et les positions des mains émaciées lui rappelaient confusément des mains semblables, autrefois chéries, et qui avaient frôlé ses draps avant le grand abîme creusé dans sa vie.

Et les plaintes du pauvre abandonné lui lancinèrent le cœur ; alors, dans une incertitude haletante, elle dévisagea de nouveau ces deux têtes sans visages. Ce ne furent plus deux poupées pourpres — mais l’un fut étranger — l’autre peut-être la moitié d’elle-même. Lorsque le malade fut mort, toute sa peine se réveilla. Elle crut véritablement qu’elle avait perdu son mari ; elle courut, haineuse, vers l’autre Sans-Gueule, et s’arrêta, prise de sa pitié enfantine, devant le misérable mannequin rouge qui fumait joyeusement, en modulant ses cris.