Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/89

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d’un homme de loi misérable poursuivi par ses confrères.

Le juge, assis sous la lumière qui frappait l’inculpé en face, considérait les méplats gris clair de ce visage terne, dont les creux étaient marqués par des coupelles d’ombre indécise. Et, tandis qu’il faisait glisser machinalement du pouce les pièces éparses des dossiers qui gisaient sur sa table, l’apparence de respectabilité répandue sur cet homme lui donna, comme dans une de ces explosions de lumière, sitôt évanouies, qui illuminent le cerveau, l’étrange impression qu’il avait devant lui un autre juge d’instruction, avec une redingote et des favoris courts, avec des yeux impénétrables et perçants, sorte de malheureuse caricature falote et mal dessinée, s’estompant dans la grisaille du jour.

Cette respectabilité indescriptible, qui venait certainement de la coupe de la barbe et des vêtements, confondait néanmoins le juge dans l’affaire présente, et le faisait hésiter. Le crime avait paru banal, d’abord : un de ces assassinats fréquents dans les dernières années. On avait trouvé dans son lit, la gorge coupée, une femme galante qui habitait un petit appartement de la rue de Maubeuge. Le coup avait été porté par une main semblant accoutumée à trancher, juste au-dessous du thyroïde ; la section de l’artère carotide était nette, le cou ayant été à moitié ouvert — la mort presque instantanée, puisque le sang s’était échappé par larges jets