Page:Schwob - Cœur double, Ollendorff, 1891.djvu/90

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successifs, en trois ou quatre battements. Les draps, peu tordus, portaient de grandes taches de sang, disposées en flaques opaques, épaisses au centre et se fondant graduellement sur les bords par un rose clair semé de traces brunes. L’armoire à glace avait été défoncée ; des boîtes de carton, renversées, jonchaient le parquet ; même les matelas avaient été éventrés à la couture.

La femme assassinée, déjà d’un certain âge, n’était pas inconnue dans le monde galant. On la rencontrait, le soir, au Cercle, aux Princes, de l’Américain aux restaurants où on soupe. Ses bijoux disparus étaient cotés. Et quand les marchands d’or et d’argent virent apparaître des bagues signalées et des colliers désignés, leur indication suffit au chef de la Sûreté pour arriver au vrai coupable. On avait unanimement nommé l’individu qui était sous les yeux du juge. Il ne s’était pas caché : les brocanteurs du Marais, les petits boutiquiers du quartier Saint-Germain savaient son adresse. Il était venu vendre les bijoux avec l’air respectable qu’il avait maintenant, l’air d’un homme qui serait dans une position fâcheuse et qui voudrait faire argent de tout.

Quand le juge l’interrogea, il employa malgré lui des formules de politesse et des atténuations sympathiques. Les réponses de l’homme étaient manifestement empâtées, évasives ; mais elles étaient respectables, comme son extérieur. Il était, dit-il, clerc d’avoué. Il donna le nom et l’adresse de son patron.