Page:Scientia - Vol. IX.djvu/411

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Au moment où il apprend à parler, l’enfant ne reçoit pas le langage tout fait, on le sait ; il doit, à l’imitation des personnes qu’il a occasion d’observer, se créer un système d’articulations, un système grammatical et un vocabulaire parallèles à ceux de son entourage. Sauf le cas — du reste fréquent — des enfants anormaux, cette imitation réussit d’une façon sensiblement exacte ; mais elle ne saurait être parfaite. Entre le langage que s’est fixé l’enfant, une fois achevée la période de l’apprentissage de la langue, et celui des personnes qu’il a imitées, il y a des différences appréciables. On constate en fait que, pour une part, ces différences sont les mêmes chez les enfants nés vers le même temps, en une même localité, dans un même milieu social. Il n’y a pas lieu de chercher ici en quelle mesure les innovations communes à toute une génération résultent de l’état de la langue au moment où elles ont lieu, et en quelle mesure elles peuvent être dues à des tendances héréditaires existant dans une population. Il suffit de noter que, par le fait même qu’elles sont communes, ces innovations subsistent, qu’elles sont reproduites par les générations ultérieures et peuvent éventuellement servir de points de départ à d’autres innovations. D’autre part, l’emploi qui est fait du langage amène les adultes à transformer leur usage : les mots souvent rapprochés tendent à se souder les uns aux autres, les formes souvent employées perdent leur valeur expressive et se prononcent d’une manière plus rapide et plus sommaire ; le détail des faits de ce genre varie d’une localité à l’autre. A moins que des réactions provenant du parler d’autres localités n’interviennent, le parler de chaque localité tend donc à prendre progressivement des caractères propres.

Sans doute ces innovations locales, procédant de conditions inhérentes à la langue ou à un ensemble de populations, peuvent être et sont, en effet, généralement communes à tout un groupe de localités. Mais, de ce que une ou plusieurs innovations identiques ont lieu indépendamment dans certaines localités, il ne résulte pas que telle autre innovation réalisée dans l’une de ces localités ou dans quelques-unes d’entre elles doive se retrouver dans toutes les autres. Chaque innovation a ses limites géographiques propres. Ceci se traduit de la manière suivante : si l’on examine à une date donnée tous les parlers d’une région où a dû être parlée à une