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“SCIENTIA„

destinées à faire pénétrer l’homme dans un monde séparé, celui du sacré, elles exigent une langue aussi séparée, une langue sacrée ; et, un peu partout, on constate que, lorsqu’ils accomplissent des rites, les hommes recourent à des manières de parler spéciales. Ceci n’est pas seulement le fait des non civilisés, et la civilisation tend même à exagérer cette tendance : les églises chrétiennes ont chacune une langue religieuse, qui est au fond la même pour tous les chrétiens appartenant à une même confession et qui n’a rien de commun avec le langage courant des fidèles : l’église romaine célèbre partout ses offices en latin (sauf dans quelques groupes orientaux où est concédé l’usage de langues liturgiques, dont aucune du reste n’est identique à celles que parlent aujourd’hui les fidèles) ; l’église grecque a gardé le grec ancien ; les églises slaves se servent non du russe, du serbe, etc., mais du slavon ecclésiastique ; etc. L’arabe littéral est partout la langue de religion de l’Islam ; le pâli, la langue du bouddhisme méridional. C’est l’état normal là où existe un clergé spécialisé dont la seule fonction est la fonction religieuse et qui tend à augmenter de plus en plus tout ce qui le distingue du commun du peuple. Mais, chez les non civilisés, la religion est mêlée à la vie entière ; la langue religieuse n’est pas aussi entièrement spécialisée ; toutefois, elle tend à être distincte, et, comme la religion intervient constamment, la langue religieuse est souvent employée. Du reste, ce ne sont pas seulement les cérémonies religieuses qui appellent une langue spéciale ; d’autres actes collectifs comportent aussi une manière particulière de parler ; ainsi pour la chasse, pour certaines récoltes, on recourt à des vocabulaires spéciaux ; ou bien des événements qui exigent des pratiques compliquées de purification entraînent en même temps des interdictions de vocabulaire temporaires ou durables qui s’étendent aune famille, à un village, à une tribu ; il suffit d’un mot interdit à certains individus pour occasionner la formation de mots nouveaux et des changements de sens. Chez les civilisés, des groupements transitoires produisent des effets analogues ; les jeunes gens groupés à l’école, au régiment, etc. se créent peu à peu des manières de parler qui leur sont propres. Les associations, les groupes sportifs s’expriment aussi d’une façon spéciale, au moins dans tous les moments où le groupe est réuni en totalité ou en partie.