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Page:Scientia - Vol. IX.djvu/426

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Les unités linguistiques ne perdent rien de leur intérêt à être considérées de cette manière ; elles servent à indiquer des mouvements de civilisation, souvent très complexes, plutôt que des communautés d’origine.

La tendance à l’unité de langue là où il y a unité de civilisation est si forte qu’une certaine espèce d’unité tend à se réaliser, même à travers des idiomes profondément distincts et qui restent distincts. Les grandes langues communes de l’Europe actuelle forment à tous égards des systèmes absolument différents ; elles ont des prononciations et des grammaires strictement autonomes. Mais ces langues reposent toutes sur un même fonds de civilisation, et il est aisé de constater qu’elles présentent en grande quantité des éléments communs. D’abord, par emprunt des unes aux autres, ou par suite de leur unité d’origine indo-européenne, elles ont en commun beaucoup de mots ; quand, pour constituer des langues artificielles, on a dressé le bilan des mots communs à l’italien, à l’espagnol, au français, à l’anglais, à l’allemand et au russe, on a trouvé assez de termes communs à quatre ou cinq de ces langues pour constituer un vocabulaire où, par suite des emprunts innombrables de l’anglais et des emprunts assez nombreux de l’allemand au latin et aux langues néo-latines, le latin est l’élément essentiel, et où le russe, demeuré longtemps en dehors du grand courant de la civilisation européenne, ne fournit rien. En second lieu, les manières de parler ont été traduites d’une langue dans l’autre ; le grec suneidêsis, le latin conscientia (français conscience), l’allemand gewissen, le polonais sumienie, le russe sovêst sont autant de mots distincts au premier abord ; mais il suffit de les analyser pour apercevoir qu’ils se superposent exactement et présentent un même mode de formation, résultant de ce qu’ils ont été calqués les uns sur les autres. On peut donc dire qu’il s’est produit par-là, en un certain sens, une unification des langues européennes ; cette unification a commencé lorsque s’est fondée la civilisation méditerranéenne, avant même l’arrivée des Hellènes en Grèce ; elle s’est continuée par l’hellénisation du latin et n’a jamais cessé depuis.

Ce sont ces divers faits d’unification qui rendent possible la linguistique historique. Sans les unifications successives qui ont maintenu ou établi constamment l’unité de langue sur de vastes domaines, les linguistes se trouveraient