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piquillo alliaga.

sive, aussi aimable qu’elle avait promis à Carmen de l’être pour lui faire plaisir.

Le roi était ravi. Il n’avait pas idée d’une grâce et d’un charme pareils ; la cour ne pouvait lui en offrir de souvenir ni de modèle, car l’étiquette se glissait même dans les relations les plus intimes ; le roi était toujours le roi, tandis que là il n’était que le seigneur Augustin de Villa-Flor, le cousin de la plus jolie fille des Espagnes, et celle-ci se croyait obligée de payer en gracieusetés le service généreux qu’on promettait de lui rendre.

Aïxa plaisait sans le vouloir, à plus forte raison quand elle le voulait, et le pauvre monarque, hors de lui, enchanté, séduit par cette coquetterie de la reconnaissance, n’était déjà plus maître de sa tête ni de son cœur : il allait tomber aux pieds de sa cousine en lui disant : Prenez pitié de moi… je suis le roi !

Par bonheur pour Sa Majesté royale, on frappa fortement à la petite porte du pavillon qui donnait sur la forêt, et on entendit le hennissement et le piaffement des chevaux.

— Qu’est-ce que cela ? dit Aïxa.

— Ce sont mes gens et mes chevaux qui viennent me prendre.

— Partez donc… et adieu, mon cousin.

— Oui, je pars, dit le roi, qui restait toujours ; veuillez dire à ma cousine, la comtesse d’Altamira, combien je suis touché de sa réception… c’est-à-dire de la vôtre ! Dites-lui aussi que je n’oublierai jamais cette soirée… son souper à elle… et vos bons conseils à vous…

— Dites mon amitié, mon cousin.

— Oui… oui… dit le roi avec émotion… c’est de l’amitié… de l’amitié bien sincère… de ma part du moins… je vous le prouverai.

— Et j’en suis persuadée… Adieu donc !

— Oui, je pars, dit le roi… et il restait toujours, Dieu sait à présent quand je pourrai vous revoir !

— Quand vous reviendrez de Burgos.

— Oui… et ce ne sera pas long ! Mais jusque-là… et puisque je vais partir…

Il avait un air si timide et si confus, qu’il ne pouvait achever… il rougissait… et baissait les yeux.

— Qu’est-ce donc ? dit Aïxa, ne comprenant pas son embarras. Que voulez-vous dire, mon cousin ?

— Je veux dire que peut-être une cousine peut donner à son cousin le baiser du départ… J’ose du moins le réclamer, ajouta-t-il en balbutiant.

— Et moi je l’accorde, dit gaiement Aïxa en lui présentant franchement sa joue fraiche, rose et rebondie.

Les lèvres du roi effleurèrent cette peau fine et satinée, et il sentit au cœur une commotion si forte et si douce, qu’il pensa défaillir. Les trois coups qui retentirent de nouveau à la porte du parc le firent revenir à lui.

— Adieu ! dit-il, en mettant un instant sa main devant ses yeux, adieu, je pars, cette fois.

Il retira sa main et fit quelques pas vers Aïxa. Elle venait de disparaître ; sans cela, peut-être le roi ne serait pas encore parti. Il ne restait d’elle aucune trace… rien que son souvenir ! Et le roi s’arracha enfin de ces lieux dangereux où il laissait sa raison et sa liberté.


XXXIV.

guerre à la cour. — bataille rangée.

Aïxa avait quitté le roi par la petite porte cachée dans la tapisserie et qui conduisait à l’orangerie. De là on se trouvait dans le parc.

Enchantée d’avoir tenu sa promesse envers Carmen et d’avoir si bien reçu le seigneur don Augustin de Villa-Flor, ravie surtout de ce qu’elle venait de tenter en faveur de Piquillo, Aïxa se rendait à la chambre de Carmen pour lui rendre compte de sa soirée.

Au détour d’un massif d’arbres qu’elle venait de franchir, elle aperçut un homme qui s’avançait en rêvant. Elle reconnut Fernand d’Albayda qui sortait de chez sa fiancée.

Il tressaillit en apercevant Aïxa ; mais il ne vit point sa pâleur soudaine ; grâce au ciel, il faisait nuit.

Ce fut la jeune fille qui parla la première en cherchant à cacher l’émotion de sa voix.

— C’est vous, don Fernand ? vous venez de quitter Carmen ?

— Oui, senora, il m’a fallu lui dire ce qu’il eût peut-être été mieux de ne confier qu’à vous ; mais vous n’avez pas voulu recevoir mes adieux !

— Me voici, dit-elle en lui tendant la main avec noblesse. Je les reçois, seigneur Fernand, puissiez-vous être heureux, et pour que vos amis le soient aussi, revenez vite.

— Mes amis ! répondit-il d’un air triste, vont accuser mon talent ou mon zèle, car je pars sans avoir pu remplir leurs ordres. Oui, senora, malgré les démarches et les recherches les plus actives, je n’ai rien pu découvrir encore sur le sort de Piquillo.

— Que cela ne vous inquiète pas.

— Si, vraiment, car j’ai été obligé de partir. Je suis en ce moment, du moins tout le monde le croit, sur la route de Lisbonne, j’y arriverai dans quelques jours, et comment vous servir d’aussi loin !

— Rassurez-vous, j’espère connaître par un autre moyen ce que je voulais savoir, et peut-être même obtenir la liberté du pauvre prisonnier.

Fernand tressaillit et dit avec amertume :

— Ainsi je n’aurai pas même pu vous être utile, ni acquérir un droit à votre reconnaissance.

— Vous vous trompez…… ma reconnaissance est la même que si vous aviez tout à fait réussi, croyez-le bien.

Elle fit un pas pour s’éloigner.

— Oui… oui, s’écria Fernand avec égarement, moi qui maudissais ce départ, je dois le bénir… c’est un bonheur, il ne pouvait m’arriver rien de plus favorable. Puisse cette absence durer toujours !

Aïxa, effrayée de cette espèce de délire, s’arrêta, et lui dit avec sa douce voix :

— Toujours, seigneur Fernand, ce n’est pas possible ! les troubles pour lesquels on vous envoie à Lis-