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piquillo alliaga.

Monsieur le recteur s’égare, dit le duc ; la joie de sa nouvelle place
lui a fait perdre la raison.

— Au palais du roi !

Les appartements resplendissaient de lumières et de l’éclat des parures. Toutes les premières familles étaient là rivalisant de luxe, d’élégance et de brillants insignes. Une foule dorée se pressait dans les vastes et spacieux salons de Buen-Retiro.

La reine, douce et mélancolique comme à l’ordinaire, semblait se résigner au plaisir qui lui était imposé. Elle aussi regrettait sa retraite, et eût préféré, pendant cette bruyante soirée, demeurer dans son oratoire, à lire, à prier, à penser peut-être.

Persuadée que tous ceux qui venaient au palais étaient aussi malheureux qu’elle, elle les accueillait avec une bonté pleine de compassion ; elle croyait leur devoir de la reconnaissance pour l’ennui qu’ils venaient chercher.

Le duc de Lerma, fier et la tête haute, distribuant les saluts et les sourires protecteurs, parcourait les salons, redoublait de zèle et de prévenance pour ses amis, dont il semblait vouloir s’entourer et se faire un rempart. Mais tout en parlant de l’éclat du bal, de l’animation de la danse et de mille autres futilités, tout en adressant aux dames de gracieux compliments sur leur beauté ou, faute de mieux, sur leur toilette, le ministre ne perdait pas de vue son souverain, et observait tous ses mouvements.

Quant au roi, il était dans une situation de corps et d’esprit qui excitait un étonnement général. Il avait l’air de s’amuser, ou du moins de prendre part à tout ce qui l’environnait.

Au lieu de rester dans son immobilité et dans son silence ordinaires, il se levait, marchait, parcourait toutes les salles. On aurait dit qu’il prenait plaisir au bruit, à la foule, aux sons de la musique ; il souriait d’un air satisfait et joyeux ; il adressa même deux ou trois fois la parole à ceux qui approchaient.

Jamais le roi n’avait eu tant de grâce dans l’esprit et la conversation.

— Il fait bien chaud, n’est-il pas vrai, messeigneurs ? — Voilà une belle soirée. — Bonsoir, duc. — Bonsoir,