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piquillo alliaga.


Il passa dévot, tenant un flambeau à deux branches.

La bouteille de benicarlo n’était pas à moitié sablée, qu’un bruit de chevaux et de cavaliers se fit entendre, et le verre plein jusqu’aux bords manqua de s’échapper de la main tremblante du sergent : il venait de reconnaitre don Augustin de Mexia et son escorte.

Depuis le matin, l’actif général avait successivement visité tous ses postes, distribué ses ordres et surveillé par lui-même la marche des différents corps qui, à plusieurs lieues de distance et dans diverses directions, gravissaient la chaine de l’Albarracin, pour cerner et entourer la faible armée commandée par Yézid.

Le sergent Chinchon expliqua à voix basse à l’hôtelier comme quoi il était perdu, et l’hôtelier monta rapidement un petit escalier qui conduisait à l’appartement de frey Luis Alliaga, auquel il raconta la chose.

Celui-ci répondit :

— Priez sa seigneurie don Augustin de Mexia de vouloir bien me faire l’honneur de dîner avec moi, et veillez, seigneur Mosquito, à ce que ce repas soit digne de lui et de vous.

L’hôtelier, enchanté de cette mission et surtout du nouveau dîner qu’on aurait à lui payer, se hâta de transmettre au général l’invitation du confesseur de Sa Majesté.

La journée était déjà avancée. Don Mexia, après avoir donné ses derniers ordres aux cavaliers de son escorte, qui partirent sur-le-champ pour les exécuter, se dirigea vers l’appartement de frey Alliaga.

Celui-ci reçut de son mieux l’austère et fier hidalgo, et pour le flatter autant que pour détourner son attention du sergent et des prisonniers, il mit la conversation sur son plan de campagne.

Dur, froid et poli comme l’acier de son épée, le général expliqua gravement, sur la carte, la manière dont il comptait exterminer les rebelles, les marches et contre-marches qu’il avait méditées et les positions qu’il avait fait prendre, le tout au point de vue stratégique, les hommes, bien entendu, n’étant comptés pour rien.

En l’écoutant, Alliaga sentait une sueur froide dé-