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piquillo alliaga.

Yézid ne connaissait qu’un seul endroit qui pût le soustraire à toutes les recherches : c’était le souterrain qui renfermait les trésors de leurs ancêtres, et il s’écria :

— Allons chez mon père !

À ce mot, Aïxa tressaillit ; Yézid ressentit lui-même la douleur qu’il venait d’éveiller ; il essuya une larme et dit à Fernand en se reprenant :

— Allons au Val-Paraiso.

La voiture et son escorte s’élancèrent à travers les plaines de l’Aragon, et le surlendemain traversèrent les campagnes de Valence.

Les deux arrêts prononcés la veille avaient été approuvés et signés par le monarque, auquel Alliaga les avait présentés. Il courut lui rendre compte de l’exécution et de la réussite de leurs projets.

Le roi remercia le ciel avec ferveur, et se crut lui-même sauvé du danger en apprenant la délivrance et la fuite de la duchesse de Santarem ; mais sa douleur fut grande quand Alliaga lui démontra qu’en ce moment du moins, il fallait renoncer à ses idées d’alliance, qu’aux yeux de tous la duchesse passait pour morte ; qu’il ne fallait point, par une imprudence, remettre de nouveau en question la vie d’Aïxa, l’honneur et la dignité du roi, peut-être même la tranquillité du royaume ; qu’il fallait laisser à l’irritation des partis le loisir de s’apaiser ; qu’on pouvait tout attendre du temps, et que, tel obstacle impossible à vaincre aujourd’hui pouvait plus tard s’aplanir de lui-même.

— Et comment ces obstacles pourraient-ils jamais disparaitre ? s’écria le roi ; comment oser même l’espérer ? Connais-tu un moyen d’y parvenir ?

— Peut-être, sire.

— Dis-moi-le donc, et laisse-moi du moins l’apercevoir en perspective.

— La duchesse est condamnée à mort ; elle est condamnée par l’inquisition comme étant d’une race proscrite, et elle ne peut reparaître tant que subsistera contre elle et contre les siens un édit injuste et barbare, un édit qui fera la honte de votre règne et la ruine du royaume, vous le savez vous-même, sire.

— Oui, oui, je le comprends maintenant, dit le roi en soupirant.

— Vous auriez beau, plus tard, faire grâce à la duchesse et la rappeler en Espagne, elle n’y pourrait revenir, aux yeux de tous, que si tous les siens y rentraient avant elle.

— Eh bien ! dit le monarque avec résolution, crois-tu possible de révoquer l’édit qui proscrit les Maures ?

— Oui, sire, tout est possible avec du temps, de l’adresse et du courage ; surtout quand une cause est juste et utile.

— Et tu te sentirais capable de tenter une pareille entreprise ?

— Oui, sire, si Votre Majesté veut ne rien brusquer et me laisser maître du moment.

— Écoute, dit le roi, il n’y a qu’un obstacle véritable, c’est don Juan de Ribeira, le grand inquisiteur ; mais dans cette dernière affaire, où toutes les chances étaient réunies en sa faveur et où tout semblait conjuré contre nous, tu t’y es pris de manière que les événements se sont arrangés, d’eux-mêmes, comme tu l’entendais. J’ai donc confiance en toi.

Oui, poursuivit le monarque à demi-voix, j’en suis persuadé maintenant, tu as plus d’esprit que le grand inquisiteur et que le duc d’Uzède lui-même, qui aurait, hier, tout à fait perdu la tête si je ne l’avais soutenu et ranimé. Fais donc comme tu l’entendras, Alliaga ; mais hâte-toi, et surtout si tu juges convenable que la duchesse quitte l’Espagne pour quelque temps, jure-moi que je la verrai une fois encore avant son départ.

— Je vous le promets, sire ; dès demain j’irai la rejoindre pour lui parler des projets de Votre Majesté et de ce qu’elle me permet de tenter pour le bonheur de nos frères.

— Va donc, lui répéta le roi ; je t’attendrai à Madrid, où je vais me rendre. Je renonce à l’entrevue projetée avec la cour de France ; je ne peux plus rester à Pampelune depuis que la duchesse n’y est plus.

Le lendemain on annonça le départ de la cour ; nouveau sujet de surprise pour les habitants de la Navarre et pour le grand inquisiteur Ribeira, qui commençait à revenir à lui-même. Il avait retrouvé toutes ses idées ; et la première qu’il voulut mettre à exécution fut celle-ci :

— Qu’on arrête frey Luis Alliaga, qu’on le jette dans les cachots de l’inquisition et qu’on le juge, sans désemparer, comme traître, relaps et renégat.

On crut que le saint prélat n’avait pas encore toute sa tête, et on s’empressa de lui apprendre que c’était Alliaga qui était venu à son secours, qui l’avait arraché des mains des rebelles et ramené au palais, ainsi que la bannière de Saint-Dominique ; que c’était lui qui, en son absence et pendant sa maladie, avait été nommé grand inquisiteur par intérim.

— Alors, s’écria-t-il furieux, tout est perdu !

— Tout est sauvé !

— Mais le peuple ?..

— Est apaisé et rentré dans le devoir.

— Mais les deux condamnés ?..

— Ont été exécutés et brûlés, sur la place Mayor, aux cris de joie de la multitude.

— Et Alliaga ?

— En apprenant qu’il n’y avait plus de danger et que l’on répondait de votre guérison, il s’est empressé de remettre entre vos mains le pouvoir qu’on lui avait confié et qu’il n’a gardé que vingt-quatre heures.

Don Ribeira, ne pouvant s’expliquer de pareils évènements, envoya chercher en secret la comtesse d’Altamira, pour connaître, par elle, la vérité ; mais, à sa grande surprise, impossible de découvrir la comtesse, ni de savoir ce qu’elle était devenue ; tous les efforts du prélat, à cet égard, furent complétement inutiles.

Une autre circonstance redoubla son dépit et manqua lui occasionner une rechute ; le jour même, ayant entendu un grand bruit dans la rue, il se fit porter près de son balcon, dont les fenêtres étaient ouvertes. C’était Alliaga qui partait par ordre du roi ; il partait, environné et suivi des bénédictions de la foule, qui lui prodiguait les noms de père et de sauveur ; quelques-uns venaient d’apprendre, sans doute, qu’il se désistait déjà du pouvoir, car ils s’écriaient :