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piquillo alliaga.

autre chose… mais j’attends de vous la vérité… j’ai le droit de l’exiger, et je la demande.

Voyant qu’elle baissait les yeux et continuait à garder le silence, il reprit d’un ton plus ferme :

— Quel qu’il soit, je veux le connaître ! parlez, quel est mon père ?

Alors, courbée par la honte, se tordant les mains de désespoir, et n’osant lever les yeux vers lui… elle lui dit à voix basse :

— Je n’en sais rien !

Et elle tomba à genoux, la tête cachée dans ses mains.

— Et moi, je vais vous dire la vérité ! s’écria Urraca. Lorsqu’elle aimait ce Maure, son premier amour, pour enlever un rôle à Lazarilla, elle écouta les vœux d’un gentilhomme de la chambre, du surintendant du théâtre… c’est lui !… c’est ce grand seigneur…

— Taisez-vous, ma mère… taisez-vous ! s’écria la Giralda en se relevant ; que la faute que vous m’avez fait commettre retombe sur moi… puisque j’ai écouté vos conseils et puisque je les ai suivis !…

Pour être tardive, la punition n’a pas manqué, elle est arrivée… el je ne crois pas qu’on puisse inventer de supplice pareil à celui que je viens de subir… l’infamie infligée à une mère devant son enfant !…

Mais rassure-toi, dit-elle à Piquillo… en portant la main à son cœur… je sens que j’en mourrai… c’est le dernier coup !… c’est tout ce que je peux faire pour toi ; ma mort sera le dernier, ou plutôt le seul bienfait que tu auras reçu de moi… mon fils ! Mais, s’écria-t-elle tout à coup, comme inspirée par une idée soudaine, si auparavant Dieu avait pitié de moi… s’il m’éclairait… s’il me guidait…

Alors elle regarda quelque temps avec attention son fils… cherchant à lire la vérité dans ses yeux… à la deviner dans ses traits, interrogeant ses moindres gestes, étudiant cette physionomie qu’elle connaissait à peine ; puis indécise, éperdue, et ne pouvant sortir de ce doute horrible, elle s’écria de nouveau avec désespoir :

— Je ne veux pas le tromper, je ne sais rien… je ne sais rien ! Maudis-moi, mon fils, maudis-moi… car je ne puis te dire quel sang coule dans tes veines. Mais écoute-moi : celui qui méprisera le moins ta mère… celui qui ne te repoussera pas… celui qui aura pour toi le cœur et l’amitié d’un père… c’est celui-là et non pas moi qu’il faut croire ! c’est celui-là qu’il faut aimer ! — Ma mère… ma mère, s’écria-t-elle, donnez-moi du papier et de l’encre.

— Que veux-tu faire ?

— Que vous importe ?… donnez… donnez, pendant que cette fièvre soutient et redouble encore mes forces.

Et, courbée sur son lit, elle écrivit, oppressée et haletante.

— Tiens, mon fils, lui dit-elle, que Dieu te conduise et veille sur toi… voilà tout ce que je peux faire pour ta fortune et ton avenir… voilà la seule main qui puisse, à présent, te protéger !

Et elle lui remit une lettre.

— Je t’envoie bien loin, continua-t-elle, à Madrid ! et il faut partir à l’instant… car je veux avoir la réponse, et si tu tardais… elle ne me trouverait plus, je le sens !… Porte cette lettre toi-même, il le faut… c’est mon seul espoir… me le promets-tu ?

— Oui, ma mère ! Mais avant mon départ… je vous verrai… je veillerai à ce que rien ne vous manque.

— Ah ! peu importe ! Mais tu m’embrasseras, n’est-ce pas ?

— Oui… oui… je vous le jure !

Et s’arrachant avec peine aux caresses de sa mère, Piquillo descendit l’escalier, tout étourdi de ce qu’il venait de voir et d’entendre, et ne sachant pas s’il était encore sous l’empire d’un bon ou d’un mauvais rêve.

Arrivé dans la rue, il regarda la lettre que sa mère venait de lui remettre ; elle portait sur l’adresse ces mots :

« À monseigneur le duc d’Uzède, En son hôtel, à Madrid. »


XVIII.

la recherche d’un père.

En arrivant à l’hôtel du vice-roi, en entrant dans le salon, où il aperçut Aïxa et Carmen, Piquillo sentit, à la vue de ces deux jeunes filles, comme un air pur et léger qui rafraichissait sa poitrine oppressée ; il respirait plus librement, il lui semblait renaître !

Le souvenir et les impressions pénibles de la mansarde s’effaçaient devant le riant tableau qui s’offrait à lui. Carmen, assise entre son père et son cousin, regardait celui-ci avec une expression de plaisir qu’elle ne prenait pas la peine de cacher, et don Juan, plus heureux encore, répétait avec joie à son neveu :

— Eh bien, que dis-tu de ta fiancée ? Avais-je tort de te la vanter ? C’est la plus jolie fille de la Navarre… je m’en vante ! Je te l’ai gardée jusqu’ici ; mais maintenant conseille au duc de Lerma de fuir la guerre de Flandre pour que tu n’aies plus à y retourner, et viens vite m’aider à défendre ta femme, sinon nos gentilshommes de Pampelune te l’enlèveront.

Fernand répondait avec une vive et franche affection aux bruyants transports de son oncle et aux regards plus timides, mais non moins tendres, de sa cousine ; et cependant un observateur adroit et intéressé aurait remarqué que, de temps en temps, même quand il parlait le plus vivement à Carmen, ses regards étaient distraits ou préoccupés, et se portaient, malgré lui, vers un coin du salon qui était toujours le même : c’était celui où Aïxa travaillait à une broderie.

C’est dans ce moment, et lorsqu’à peine la famille venait de sortir de table, que Piquillo se présenta dans le salon.

— Ah ! monsieur le secrétaire ! s’écria Aïxa en riant : combien sa place lui a déjà donné d’aplomb et de gravité ! il n’est plus reconnaissable !

Puis avec l’instinct de l’amitié elle s’aperçut à l’instant que la gravité de Piquillo était de la tristesse, et son regard lui demanda : Qu’avez-vous ?

— Monseigneur, dit Piquillo en s’inclinant devant