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piquillo alliaga.

Il venait de faire, il est vrai, une pénible découverte, et le fils de la Giralda, le petit-fils surtout de la senora Urraca, n’avait pas à remercier le ciel de sa naissance ; mais, d’un autre côté, il était probablement le fils du duc d’Uzède, le petit-fils du duc de Lerma !

L’illustration et l’éclat de la branche paternelle pouvaient balancer les inconvénients de la ligne maternelle, et, tout compensé on pouvait s’arrêter, dans ces deux extrémités de l’échelle sociale, à un juste milieu qui composait une naissance fort honorable.

D’ailleurs, l’histoire, qu’il avait lue tant de fois et qu’il connaissait si bien, ne lui offrait-elle pas à chaque instant l’exemple de bâtards adoptés par leur noble famille et qui en devenaient l’honneur ? Des deux fils de Charles-Quint, don Juan d’Autriche n’était-il pas plus illustre que son frère Philippe II, qui n’était que roi !

Ainsi donc, lui, Piquillo, pouvait se rendre digne d’Aïxa. La naissance n’était plus un obstacle, et le jeune voyageur, ravi, plein d’illusions, acheva sa route sous l’empire de ses rêves et de ses châteaux en Espagne.

C’était l’occasion ou jamais d’en faire… il était dans le pays.

Ils arrivèrent le lendemain au soir à Madrid. Fernand lui offrit un logis chez lui, dans son hôtel, en lui disant, avec cet air de bonté et de franchise qui force les gens à accepter :

— En quoi puis-je vous être utile ? que puis-je faire pour vous ?

— J’aurais besoin d’un protecteur et d’un appui auprès du duc d’Uzède.

— Ah ! répondit Fernand en soupirant, je ne puis de ce côté-là vous aider en rien. Je suis brouillé avec le duc, et la moindre protection de ma part vous serait plus nuisible qu’utile. Du reste, disposez de ma maison et de ma bourse comme vôtres.

Piquillo s’inclina en le remerciant.

— Un mot encore, lui dit Fernand en riant ; ma jolie cousine, la senora Aïxa et mon oncle lui-même, ne vous appellent jamais que Piquillo, c’est un nom d’amitié… dont peut-être déjà, ajouta-t-il d’un air gracieux, j’aurais, comme eux, le droit de me servir ; mais pour ceux qui nous entendraient, un autre nom serait plus convenable ; veuillez me dire quel est le vôtre.

Piquillo n’avait jamais pensé à une demande aussi simple. Il fallait pourtant y répondre, et sur-le-champ.

Il ne pouvait se dire de la famille d’Uzède ; sa généalogie de ce côté-là était encore trop incertaine.

Mais il était sûr du moins d’être le fils de sa mère ; il n’y avait malheureusement pour lui aucun doute de ce côté, et, pensant à son aïeul maternel, au brave soldat tué dans les Alpujarras en défendant sa religion et sa liberté, il dit à don Fernand :

— Mon nom est Alliaga !

— Eh bien ! senor Piquillo Alliaga, répondit Fernand en lui tendant la main, en tout temps et en tous lieux comptez sur mon amitié.

Fernand s’habilla à la hâte, courut chez le duc de Lerma lui porter ses dépêches, et répondre à toutes les questions qu’on allait sans doute lui adresser.

Quant à Piquillo Alliaga, il se fit enseigner l’hôtel du duc d’Uzède, et s’y rendit.


XIX.

l’hôtel d’uzède à madrid.

Le duc d’Uzède habitait à Madrid, dans la rue Fuen Carral, un palais vaste plutôt qu’élégant.

Il ne demeurait point avec le duc de Lerma, son père ; il avait son habitation, sa cour, ses flatteurs, et peut-être même déjà ses projets particuliers.

Immensément riche, il passait pour avare. Il est vrai que tout le monde eût paru tel, auprès du duc de Lerma. Il n’en menait pas moins un grand état de maison, et Piquillo, déjà troublé le fut bien plus, quand il vit sous le vestibule du palais cette masse d’officiers, de pages, de laquais et de gens de toutes, les conditions, l’air humble, respectueux et le chapeau bas, quoiqu’il n’y eût encore personne à saluer.

Piquillo demanda d’une voix timide à un homme, galonné sur toutes les coutures et tenant à la main une hallebarde, s’il n’y aurait pas moyen d’arriver jusqu’à Son Excellence.

Le heiduque, la tête haute et l’air insolent, frappa de sa hallebarde le marbre du pavé, toussa d’un air de protection, et répondit :

— Monseigneur le duc d’Uzède n’y est pas.

— Je reviendrai, répondit Piquillo.

Il retourna à l’hôtel de don Fernand d’Albayda.

Ce dernier, après une conférence d’une demi-heure ; avec le premier ministre, était parti brusquement pour Valladolid, où la cour se trouvait en ce moment ; mais il avait ordonné à son hôtel, avant son départ, que le senor Alliaga fût traité en son absence comme lui-même.

Le senor Alliaga, seul dans ce bel hôtel et en proie à une tristesse qu’il ne pouvait vaincre, eut recours à son appui, à sa consolation : il écrivit à Aïxa. Il lui raconta tous les détails de son voyage, et lui dépeignit don Fernand d’Albayda comme il le voyait lui-même.

C’était son héros, son Dieu ; le plus aimable, le plus charmant cavalier qu’il eût jamais vu ou imaginé, car l’imagination était chez lui la moitié de sa vie.

Il finissait en vantant le bonheur de Carmen et la tendresse de son père, qui lui avait choisi l’époux le plus adorable et le plus accompli.

Il lui parlait aussi de l’admiration que don Fernand professait pour elle, admiration qui était, selon lui, la preuve la plus évidente de son esprit, de son tact et de son bon goût.

Le lendemain, et de bien meilleure heure, Piquillo se rendit chez le duc d’Uzède.

On lui répondit qu’il était sorti.

Il revint à l’hôtel, et, désolé de l’absence de Fernand d’Albayda, dont les conseils auraient pu lui être si utiles, il écrivit encore à Aïxa, lui parlant d’elle toujours, de son ami Fernand beaucoup, de lui Piquillo très-peu ; car, avant d’avoir réussi, il ne voulait avouer à personne ses folles espérances.