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piquillo alliaga.

Le lendemain, le descendant des Royas de Sandoval et du duc de Lerma, obligé, pour entrer dans sa noble maison, d’avoir recours à la maison Cazoleta, partit de grand matin pour Valladolid, muni des instructions de Cazilda et de la précieuse cassette.


XX.

la cour à valladolid.

Dans une pièce solitaire et retirée, dans un cabinet autour duquel régnait une riche bibliothèque dorée, assis dans un large fauteuil et devant un bureau de travail chargé de livres, de dossiers et de parchemins, un homme se faisait les ongles, c’était le duc d’Uzède.

La porte principale s’ouvrit, un valet de chambre parut.

— Le duc de Medina-Cœli demande à parler à Votre Excellence.

— Dites au duc que si j’avais été prévenu de sa visite, je me serais arrangé pour lui donner quelques instants… mais je ne le puis ce matin… je suis occupé.

— Le premier salon est encombré de solliciteurs, de personnes à qui Votre Excellence a donné audience.

— Répondez qu’il m’est impossible de recevoir… je suis occupé !

Le valet de chambre sortit, et le duc se remit à faire ses ongles.

Quelques instants après, il se leva, se promena en long dans son cabinet d’un air pensif, s’approcha d’une belle glace de Venise, et dit d’un air sombre : Mon teint ne se bonifie pas ! l’air de Valladolid ne me vaut rien !

Il se promena de nouveau, cette fois en large… puis se rapprocha de la glace ; il regarda ses dents, qui étaient fort belles, ses cheveux, qui étaient moins noirs qu’à l’ordinaire et dont les racines commençaient à se montrer d’un rouge brun.

— Pourvu, s’écria-t-il avec inquiétude, que le message que j’attends ne tarde pas !

Il sonna si vivement qu’il manqua de briser la sonnette, et les pauvres solliciteurs restés dans le premier salon se regardaient et se disaient à demi-voix : — Il parait qu’il y a de grands événements, et qu’une importante affaire s’agite en ce moment.

Le valet de chambre rentra effrayé.

— Je n’y suis pas, dit le duc d’un ton grave, mais si l’on venait de Madrid… écoutez…

Et quoiqu’ils fussent seuls, il lui parla bas à l’oreille et ajouta tout haut :

— Vous entendez ?

Le valet s’inclina et sortit.

Après s’être encore complu quelques instants dans sa taille, qui était haute et bien prise, après avoir admiré sa jambe, qui était fine et élégante, et sa robe de chambre brochée en or, le duc, faisant un effort sur lui-même, et comme se reprochant le temps qu’il venait de perdre, se rapprocha vivement de son fauteuil, s’assit devant son bureau de travail, écarta les lettres et les papiers qui l’encombraient, prit trois ou quatre plumes, et s’amusa à les tailler.

Il était depuis quelques minutes dans cette occupation, plus ordinaire qu’on ne croit aux hommes d’État, lorsqu’on frappa légèrement à une petite porte à gauche de la cheminée, porte cachée dans la boiserie et de plus recouverte par une tapisserie. Le duc se leva avec l’impatience d’un homme qu’on arrache à un important travail, alla ouvrir, et s’écria d’un air galant :

— La comtesse d’Altamira !…

C’était une superbe personne, qui n’était plus jeune… ce n’était pas sa faute, mais qui était encore belle et qui avait juré de l’être tant qu’elle le pourrait ! elle avait tenu parole. Le temps avait beau faire, il était impossible d’opposer à ses attaques une résistance plus opiniâtre et plus habile.

La comtesse d’Altamira, que nos lecteurs se rappelleront peut-être avoir entrevue à Valence dans les jardins du palais et plus tard avec la reine Marguerite, lors de sa visite au Maure Albérique, la comtesse d’Altamira était une des premières dames du palais et des plus haut placées, quoiqu’elle y fût à peu près mal avec tout le monde, position qui se rencontre parfois à la cour et dont voici, à cette circonstance, l’explication.

Don Juan d’Aguilar, actuellement vice-roi de Navarre, avait eu deux sœurs, beaucoup plus jeunes que lui.

Quoiqu’il n’eût pas de fortune à leur donner, toutes deux s’étaient fort bien établies.

La première, Isabelle d’Aguilar, bonne, douce et aimante, avait épousé Alonzo d’Albayda, un des premiers barons du royaume de Valence ; de ce mariage était né Fernand d’Albayda, qui depuis longtemps avait perdu ses parents.

La seconde sœur, la cadette, Florinde d’Aguilar, d’une beauté éclatante, mais fière, hautaine, égoïste et n’aimant qu’elle, s’était fait adorer aisément du comte Altamira, un des premiers écuyers de Philippe II, car elle avait autant d’esprit que son mari en avait peu ; de plus, de l’ambition, de l’adresse, de l’audace et l’amour de l’intrigue poussée jusqu’à la passion ! c’était sa vie !

Elle avait besoin de mouvement, de danger, d’émotion, et se disait, comme plus tard la duchesse de Longueville : cela tourmente… mais cela occupe !

Sous Philippe II, qui n’aimait point ce genre d’occupation, la comtesse, qui était fort jeune alors, lança deux ou trois fois son mari dans des projets dont il ne se doutait même pas, et qui faillirent le perdre.

Heureusement pour lui, une fluxion de poitrine l’enleva aux complots qui l’auraient compromis.

Restée seule, la comtesse intrigua en chef et pour son compte, mais avec l’adresse et la modération qui était alors de rigueur.

Nous avons vu que Philippe II, qui redoutait pour son héritier l’esprit et le talent, avait pris tous les moyens possibles pour l’en préserver.

Le succès avait, en grande partie, secondé ses efforts paternels.

Mais il n’avait pu, quoi qu’il fit, isoler complétement le jeune prince. Il avait laissé auprès de lui son ancienne gouvernante, la marquise de Vaglio, un gentilhomme de la chambre nommé Muriel, et Royas