Page:Scribe - Piquillo Alliaga, ou Les Maures sous Philippe III, 1857.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
piquillo alliaga.

y Sandoval, marquis de Denia, depuis duc de Lerma.

La comtesse d’Altamira voyant qu’il n’y avait rien à faire pour le présent, voulut au moins s’assurer l’avenir. Elle s’attacha à la marquise de Vaglio, et ce quatuor forma à peu près toute la camarilla du prince royal. Cette petite cour était peu occupée et n’avait rien à faire qu’à amuser l’infant d’Espagne.

Il n’est pas prouvé que la comtesse n’eût pas dès lors l’idée de le soumettre à sa domination et d’exercer, comme favorite, l’empire que le duc de Lerma exerça plus tard comme favori ; mais le moyen de tenter un pareil projet, avec Philippe II, qui voyait tout ; avec le marquis de Denia, qui l’eût peut-être dénoncé, et surtout avec un jeune prince tellement soumis et craintif qu’il n’eût osé prendre de l’amour sans en demander la permission au roi son père !

La comtesse se contenta donc de servir les desseins du marquis de Denia, au lieu de les traverser : c’était plus loyal, et d’ailleurs elle ne pouvait faire autrement.

La marquise de Vaglio, la comtesse, Muriel et le marquis s’entendirent franchement pour partager les bonnes grâces du prince royal, et pour exploiter sa puissance quand il serait roi.

En attendant, ils avaient besoin d’appui et ne savaient où en trouver ; personne à la cour n’aurait osé venir à eux. Le confesseur du roi était dominicain, et par conséquent toute l’inquisition était dévouée à Philippe II.

Le père Jérôme, Florentin, de l’ordre des jésuites, qui avait un grand crédit par sa compagnie et surtout par son talent comme prédicateur, fut le seul qui offrit secrètement au marquis de Denia son appui et celui de son ordre : d’abord, en haine des dominicains, leurs rivaux et leurs ennemis naturels ; ensuite ils espéraient par là arriver, après la mort de Philippe II, à diriger la conscience de son successeur, objet de tous leurs vœux.

Le marquis de Denia promit donc que le confesseur du nouveau roi serait choisi dans l’ordre des jésuites, et l’ordre fournit au marquis, sur sa signature et sa responsabilité, toutes les sommes dont il avait besoin, pour subvenir aux dépenses du jeune prince, à qui le roi son père ne donnait pas d’argent.

Ce fut là, au dire de tous les historiens, le moyen le plus puissant employé par Denia et ses alliés pour capter la faveur de leur jeune maître.

Mais quand Philippe II fut mort, quand son fils eut, dès les premiers jours de son règne, remis toute l’autorité royale entre les mains du duc de Lerma, celui-ci, maître absolu, vit venir tout le monde à lui.

Le patriarche d’Antioche Ribeira lui amena le clergé, Royas de Sandoval lui amena l’inquisition, et le duc se trouva fort embarrassé de ses anciens alliés, les jésuites, qui réclamèrent ses promesses et leur argent.

Le père Jérôme voulait être confesseur du roi ; Sandoval et Ribeira, ennemis déclarés de l’ordre de Loyola, voulaient que ce confesseur fût un dominicain.

Le duc de Lerma n’était ni assez fort, ni assez habile, pour tenir la balance, d’une main ferme, entre deux puissances aussi redoutables. Pour les opposer l’une à l’autre, et les faire toutes les deux concourir à ses desseins, il eût fallu être Richelieu ; mais Richelieu n’était pas encore venu, et plus tard le ministre espagnol eut à lutter contre lui sans pouvoir le vaincre ni l’imiter.

Le duc prit, comme tous les gens faibles, un terme moyen. N’osant satisfaire entièrement aucun des deux partis, il s’arrêta à une résolution qui les mécontenta tous les deux.

Il ne choisit le confesseur du roi, ni parmi les jésuites, ni parmi les dominicains, mais parmi les cordeliers. Il nomma à cette place un pauvre moine, nommé fray Gaspard de Cordova, homme d’un extérieur négligé, qui portait un bonnet et des souliers déchirés, qui n’avait ni goût ni talent pour l’administration de l’État, et qui était incapable de s’en mêler.

De sorte que, grâce à cette nomination, la place resta toujours vacante, et que les deux partis continuèrent à se la disputer.

Quant à la marquise de Vaglio et à Muriel, le duc n’en avait plus besoin et n’y pensa plus.

La comtesse cependant n’était pas femme à se laisser oublier ; elle réclama avec aigreur, et pour la calmer on lui donna d’abord la place de première dame d’honneur de la reine ; puis on la nomma gouvernante des enfants d’Espagne.

Mais c’était trop peu pour elle.

Ce qu’il lui fallait, c’était du pouvoir, c’était sa part dans le gouvernement ; et ses prétentions devinrent si exagérées que le duc de Lerma se fit ce raisonnement tout naturel : Il est impossible de ne pas nous brouiller un jour ; brouillons-nous tout de suite ; j’y gagnerai ce que j’aurais été obligé de lui donner dans l’intervalle.

Cette pensée reçut promptement son exécution. Dès le jour même le cabinet du ministre fut fermé à la comtesse, et les anciens amis devinrent ennemis mortels.

La comtesse, la rage dans l’âme, jura de se venger, de renverser ce ministre ingrat qu’elle avait contribué à élever, et ce fut désormais la seule occupation de sa vie.

Elle aurait intrigué pour rien ; à plus forte raison pour une cause aussi juste.

Elle se tourna d’abord du côté de la reine, qu’elle supposait être fort mal disposée pour le favori. La reine reçut ses avances avec une dignité, une froideur et même un air de mépris qu’elle ne put s’expliquer et qui l’éloignèrent pour toujours.

Marguerite n’avait point oublié la conversation qu’elle avait entendue, la veille de son mariage, dans les jardins de Valence ; Marguerite croyait à la franchise et à l’amitié : elle ne pouvait croire à la comtesse d’Altamira.

Celle-ci revint alors à ses anciens amis, le père Jérôme et les siens, furieux, comme elle, contre le ministre qui les avait joués. Ils mirent en commun leur vengeance, leur fortune et leur esprit.

Le père Jérôme et la comtesse en avaient beaucoup et ils s’adjoignirent quelqu’un qui en avait au moins autant qu’eux.

C’était le confesseur de la comtesse, un pauvre moine, bien célèbre depuis par ses ouvrages, mais inconnu encore, et qu’on nommait Antoine Escobar y Mendoza.

Il n’avait pas alors trente ans, il était jésuite depuis