Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/125

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qui ils font la grace de donner de grands biens au deſſus des autres, les meſprisent en les jettant comme vous le voulez : il paroiſt pourtant aſſez clairement, repliqua Doraliſe, que les Dieux veulent que ce qu’ils donnent ſerve à la ſocieté publique, & non pas ſimplement à l’avarice d’un particulier. En effet, adjouſta la Princeſſe, nous en avons un exemple en mille belles choſes de l’Univers : le Soleil donne tous ſes rayons, & toute ſa lumiere au mon de : la Mer donne toutes ſes eaux aux Fontaines : & les Rois meſmes, à qui les Dieux ont donné tant d’authorité, ſont obligez de donner tous leurs foins à la conduitte de leurs Eſtats, & à la deffence de leurs ſujets. Ha ! pour des foins, interrompit Doraliſe en riant, j’en connois qui n’en ſont pas avares : quoy que d’ailleurs ils ne ſoient pas liberaux : il me ſemble, dit Mexaris, que pour aimer tant la liberalité en autruy, nous n’avons jamais guere entendu parler des liberalitez de Doraliſe : je vous ay deſja dit Seigneur, reprit elle, qu’il n’appartient qu’aux Princes de pratiquer cette vertu : joint que peut-eſtre ay je plus donné que vous ne penſez. Pour des foins (dit il voulant parler des offices qu’elle rendoit à Abradate) je sçay bien que vous n’en eſtes pas avare : car vous en avez beaucoup, de ſervir vos Amis abſens. Quoy Seigneur (luy dit la Princeſſe, qui vouloit deſtourner la converſation) vous reprochez cela à Doraliſer comme ſi c’eſtoit un crime ! & je trouve que c’eſt une fort bonne qualité, que de n’oublier pas ſes Amis. je voy bien Madame (reprit il, emporté de colere & d’amour tout enſemble) que Doraliſe vous a inſpire toutes ſes inclinations : & qu’elle vous aura fait ſi liberale, que non ſeulement vous donnerez juſques à voſtre cœur, mais que vous refuſerez meſme