Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/141

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Prince Abradate que je ne sçay point vos ſentimens, je luy die cela comme ſi en effet je sçavois que vous euſſiez de l’averſion pour luy : & quil vous fiſt un outrage irreparable, d’avoir pour vous une paſſion tres reſpectueuse ? Nullement, repliqua la Princeſſe, mais je ne veux pas auſſi que vous luy parliez d’un air à luy faire comprendre que ſi vous ne luy dittes pas ce que je penſe de luy, ce ſoit parce que mes ſentimens luy ſont trop avantageux. Que voulez vous donc bien preciſément que je luy faſſe entendre ? interrompit Doraliſe, je voudrois, reſpondit, Panthée que ſans qu’Abradate pûſt ſoubçonner qu’il y euſt de fineſſe en vos paroles, il creuſt en effet que vous n’avez oſé me parler de luy ; que vous ne sçavez point du tout le ſecret de mon cœur pour ce qui le regarde ; & que ſans luy perſuader que j’aye de l’adverſion pour ſa perſonne, vous luy fiſſiez entendre que ce qu’il entreprend eſt fort difficile : afin que ſans me haïr ; ſans m’accuſer de ſon malheur : & ſans me ſoubçonnner de foibleſſe ; je puſſe conſerver ſon eſtime & demeurer pourtant en repos. Ha Madame, s’eſcria Doraliſe en riant, ſi le ſon de ma voix ſeulement doit expliquer tout ce que vous venez de dire, il faut ſans doute aſſembler tous ces Muſiciens de Phrigie & de Lydie, qui eſtoient chez le Prince Abradate, pour les obliger de m’aprendre à la conduire en parlant, comme ils aprennent à chanter, & à exprimer toutes les paſſions, meſme ſans paroles. Serieuſement Madame, adjouſta Doraliſe, je ne sçaurois faire ce que vous voulez & je sçay bien que je donneray infailliblement de l’eſperance ou de la crainte à Abradate. Choiſissez donc la derniere, reprit la Princeſſe en ſouspirant ; Doraliſe qui juſques alors avoit raillé avec elle, ſuivant la