Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m’inquiette : & qu’ainſi je ſerois bien aiſe que vous n’euſſiez que de l’eſtime pour moy. Vous devriez encore adjouſter, reſpondit il, que vous ſouhaitteriez que j’euſſe perdu la veuë & la raiſon : car ſans cela Madame, vous deſirez une choſe impoſſible : puis que tant que j’auray des yeux, je vous trouveray la plus belle Perſonne du monde : & que tant que j’auray l’eſprit libre, je vous admireray, comme la plus merveilleuſe Princeſſe de la Terre. je penſe meſme, adjouſta cét amoureux Prince, que ſans yeux & ſans raiſon, je ne laiſſerois pas encore de vous adorer : ouy Madame, mon cœur eſt ſi abſolument à vous, & ſi accouſtumé à n’aimer rien que vous, que je penſe que ſi mes larmes m’aveugloient, & que ma douleur me fiſt perdre l’eſprit, mes pas me meneroient encore vers vous, & ma folie meſme ne m’entretien droit que de vous. Iuges apres cela, Madame, ſi voyant preſentement dans vos yeux, plus de charmes que perſonne n’en a jamais eu ; & ſi deſcouvrant dans voſtre eſprit, autant de beautez que voſtre viſage m’en montre, je pourrois n’avoir que de l’eſtime. Non non, Madame, la choſe n’eſt plus en ces termes là : & je ne sçay meſme ſi dés le premier jour que j’eus l’honneur de vous voir dans le Bois, & au bord de la Fontaine, j’euſſe ſeulement pû obtenir de moy aſſez de force, pour m’oppoſer à la puiſſance de vos charmes. Songez donc, je vous en conjure, à ne trouver point mauvais que je continuë de vous aimer juſques à la fin de ma vie : & que s’il eſt vray que vous aprehendiez quelques effets violents, de la violente paſſion que j’ay pour vous, il vous ſera aiſé de vous mettre l’eſprit en repos de ce coſté là ſi vous le voulez : car enfin ſi vous pouvez vous reſoudre à me donner quelques