pas trop, reprit elle, mais à dire la verité, la ſeconde eſt encore un peu plus difficile : ou pour mieux dire elle eſt impoſſible. Il me ſemble, dit la Princeſſe, que vous faites grand tort à Sardis & à toute la Cour, de croire qu’il n’y ait pas un homme aſſez accomply pour vous obliger par ſes ſervices à recevoir ſon affection. Madame, luy dit elle, il y a cent honneſtes gens : mais il n’y en a pas un qui n’ait aimé quelque choſe, & c’eſt ce que je ne veux point du tout. Car enfin ſi je pouvois ſouffrir d’eſtre aimée, & me reſoudre à aimer, je voudrois que la Nature toute ſeule, ſans le ſecours de l’Amour, euſt fait un fort honneſte honme : & qu’en cét eſtat (adjouſta t’elle en riant, quoy que ce fuſſent ſes veritables ſentimens) il me vinſt offrir un cœur tout neuf, qu’il n’euſt jamais reçeu que mon image, ny bruſlé d’autres flames que de celles que mes yeux y auroient allumées. Mais Madame, où le trouvera t’on cét honneſte homme que je recherche ? du moins sçay-je bien qu’entre cent mille que j’ay veûs, je ne l’ay pas encore rencontré. La Nature toute ſeule, adjouſta t’elle, les fait quelqueſfois beaux : mais ils ne ſont pas meſme de fort bonne mine, s’ils n’ont aime quelque choſe : & pour l’eſprit, un homme ne peut jamais l’avoir agreable, s’il n’a eu une fois en ſa vie, le ſoin de plaire à quelqu’un. La Princeſſe ſe mit à rire, du diſcours de Doraliſe : mais enfin, luy dit elle, l’amour ne donne point d’eſprit à ceux qui n’en ont pas : je vous aſſure Madame, repliqua Doraliſe, que s’il n’en donne pas à ceux qui n’en ont point, il l’augmente & il le polit merveilleuſement à ceux qui en ont. je croy bien, pourſuivit elle, qu’un honneſte homme tel que le definiroit un de ces ſept Sages de Grece, dont on parle aujourd’huy
Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/35
Apparence