Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/404

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confier : car Mazare, pour vous faire voir combien voſtre crime me doit paroiſtre grand, il faut que je vous advoüe, qu’excepté Cyrus, je ne croyois pas qu’il y euſt un homme au monde, de qui la vertu égalaſt la voſtre. je vous eſtimois autant que j’eſtois capable d’eſtimer quelqu’un ; je croyois vous avoir de l’obligation, & je vous en avois en effet : & pour dire quelque choſe de plus, je vous aimois comme ſi vous euſſiez eſté mon Frere. jugez apres cela, comment j’ay deû paſſer d’une extremité à l’autre, apres la violence que vous m’avez faite ; apres m’avoir trompée avec tant d’adreſſe ; & m’avoir cauſé tous les malheurs qui me ſont arrivez. En verité Mazare, adjouſta t’elle, je ne sçay comment les Dieux vous ont conſervé la vie : puis que non ſeulement vous eſtes cauſe de toutes mes infortunes, mais de celles de toute l’Aſie, qui n’eſt en guerre que parce que vous m’avez enlevée. Ceſſez Madame, reprit ce Prince affligé, ceſſez de me reprocher mon crime, puis que je le voy auſſi grand qu’il eſt : car ſans conſiderer les malheurs des autres, je n’ay qu’à penſer à ceux que je vous ay cauſez, & que je vous cauſe encore : & je n’ay enfin qu’à me ſouvenir que j’ay perdu le reſpect que le vous devois : Mais Madame, le repentir que j’en ay eu, & que j’en auray juſques à la mort, eſt un chaſtiment ſi rude, que ſi vous en connoiſſiez la grandeur, vous auriez peut-eſtre pitié de ce que je ſouffre. Ne le trouvant pourtant pas proportionné à ma faute, je m’en ſuis encore impoſé un plus rude : c’eſt Madame, de vous remettre moy meſme entre les mains de Cyrus : de cét heureux Rival, dis-je, à qui les Dieux ont reſervé de ſi favorables avantures, que ſes Rivaux meſmes travaillent à delivrer pour luy ſeulement, la Princeſſe